Le 9 janvier 2019
Ustinov filme limpidement une histoire aux résonances complexes qui ne peut que fasciner malgré des péchés véniels.
- Réalisateur : Peter Ustinov
- Acteurs : Peter Ustinov, Terence Stamp, Robert Ryan, Melvyn Douglas
- Genre : Aventures, Noir et blanc
- Nationalité : Britannique
- Editeur vidéo : Warner Home Video
- Durée : 2h03mn
- Box-office : 301 670 entrées France / 35 541 entrées Paris Périphérie
- Date de sortie : 28 novembre 1962
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Résumé : Un jeune marin timide, Billy Budd, est enrôlé de force sur la frégate "Avenger", où règne une discipline de fer. Accusé par le maître d’équipage, Claggart, de fomenter une révolte, Billy le tue accidentellement. Il est condamné à mort. A l’instant où l’équipage se révolte pour prendre sa défense, une goélette française attaque.
Notre avis : Adaptant une pièce qui adaptait elle-même le roman éponyme de Melville, Peter Ustinov ne cherche pas à en gommer la théâtralité : que ce soit dans les entrées et sorties des personnages ou dans les dialogues, on sent la prégnance de la scène. L’histoire a beau se passer en pleine mer, le navire est plus un décor qu’un élément de l’action et, quand la guerre éclate, le film se clôt. Car l’essentiel est ailleurs : sur une trame relativement simple (un jeune marin se confronte à un supérieur et finit par être pendu), Billy Budd se veut une réflexion sur le monde (le bateau étant un microcosme symbolique), sur le mal et l’innocence. Ce n’est donc évidemment pas un film d’aventures ou de guerre, mais un drame shakespearien empli de métaphores et de symbolismes, ce qui ne va pas sans lourdeurs : le premier navire s’appelle « Les Droits de l’Homme », alors que celui qui sera le cadre du martyre se nomme « Avenger », le maître d’équipage sent venir une tempête aussi réelle que figurée, etc. A force de signifier, Ustinov enferme son œuvre dans un réseau de paroles redondantes.
Affiche belge (1962) - Copyright Warner
Mais à vrai dire, c’est peu de choses par rapport à la force d’un scénario aussi puissant : la confrontation entre l’ange pur, Billy, et la noirceur incarnée, Claggart, dépasse de loin l’anecdotique et prend une dimension universelle assez peu fréquentée. En souriant, en disant la vérité et en ne parvenant pas à haïr, Billy Budd se révèle inhumain, voire christique, c’est à dire qu’il est celui qui va expier les pêchés des hommes en mourant. Sauf que ses bourreaux ne sont pas consentants, le capitaine Vere (Ustinov lui-même) en perdant la raison. Sauf qu’il a dû tuer faute de mots. Sauf enfin qu’il n’a pas éradiqué le Mal, mais lui a permis d’advenir : la victoire de Claggart, qui explique son sourire final, est de corrompre l’innocence puisqu’il ne peut la vaincre à armes égales. Sa mort est un quasi suicide longtemps cherché par des provocations envers ses hommes, mais également un sacrifice à une cause obscure.
Si Terence Stamp incarne impeccablement la figure angélique, Robert Ryan fait de Claggart un être complexe et torturé. Qu’on voie en lui une figure diabolique ou un cas pathologique de sadomasochisme, puisqu’il prend autant de plaisir à faire fouetter des matelots qu’à susciter la haine, le maître d’équipage a une incontestable envergure, dépassant de loin le « méchant » classique. Ustinov prend soin de cadrer ses rictus ou ses hésitations, mais d’une manière générale, en se servant à merveille du cinémascope, il fait du navire un lieu oppressant et fermé, un monde où la justice n’est qu’arbitraire : à ce titre les surgissements inopinés de Claggart dans le champ contribuent à l’angoisse entretenue tout au long du métrage.
Dans ce film sans femme et au sous-texte homosexuel, Peter Ustinov disperse des figures paternelles et fraternelles qui forment un cocon protecteur, insuffisant à empêcher l’issue fatale et qui ne peut qu’accompagner le martyre à la manière d’un chœur antique. Ne reste que la guerre, seule à même de canaliser la férocité masculine.
Billy Budd brille d’un éclat singulier dans la courte filmographie (en tant que cinéaste) d’Ustinov, œuvre puissante et audacieuse, portée par des comédiens en état de grâce. Outre Ryan et Stamp, on a plaisir à revoir un Melvyn Douglas vieilli ou le réalisateur en capitaine brisé par son sens du devoir. Et comme la mise en scène évite la pesanteur de certains dialogues, ce film limpide et ambigu garde, plus de cinquante ans après sa sortie, toute sa force.
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