Au temps de Botchan . Volume 1 - La chronique BD

Au temps de Botchan, le Japon poursuivait son entrée dans les temps modernes, vaste entreprise d’occidentalisation initiée par l’empereur Mutsuhito en 1868. Le pays vivait alors la 37e année de l’ère Meiji (1905) et Natsumé Sôseki, lui, vivait mal. Son séjour en Angleterre l’avait atteint au point d’en revenir avec une névrose qui, depuis, ne le quittait plus. Et il ne comprenait " pas du tout" où allait le Japon, persuadé que se "contenter d’imiter l’Occident" n’était pas "une bonne chose". Pour se soigner, il allait se lancer dans l’écriture d’un nouveau roman, Botchan. Les aventures de ce jeune professeur honnête en butte à la bassesse humaine représenteraient bientôt un monument de la littérature japonaise. Si bien que, quatre-vingt ans plus tard, le dessinateur Jirô Taniguchi et l’écrivain Natsuo Sekikawa allaient faire de Sôseki un héros de bande dessinée.

Vaste entreprise dans laquelle s’est engagé le Seuil en publiant en français, quinze ans après sa sortie au Japon, ce qu’il qualifie de "première manga littéraire". Déjà un tome de livré, soit près de 250 pages... et six fois plus qui attendent d’être traduites. Au temps de Botchan est une somme. Une fresque, une BD historique qui ne se lit pas aussi facilement que l’émouvant Quartier lointain de Taniguchi. Qui demande du temps. Qui est truffée de notes, de détails, de références qui nous échappent. Mais qui est tout simplement passionnante.

Ses premières cases, qui peignent Sôseki s’interrogeant sur son pays tout en se coupant les ongles des pieds et en regardant son chat s’amuser, donnent le ton. Celui du doute, de l’amertume, de la tristesse aussi. "Depuis longtemps déjà, je pensais que Botchan était le roman le plus triste qui soit", précise Sekikawa dans la préface. Croisant l’histoire de Sôseki et celle de son héros, Au temps de Botchan cherche à montrer ce que furent les dernières années de l’ère Meiji, époque agitée et mouvementée. "Les gens de Meiji connaissaient déjà la plupart de nos tourments actuels", note encore l’écrivain.

Connaître Botchan approfondit évidemment le plaisir de la lecture de cet album. Mais ses charmes sont suffisamment forts pour agir seuls. Le récit de Sekikawa est subtil, son écriture légère. Quant au dessin de Taniguchi, il est toujours de cette même élégance, entre la précision de son trait et l’importance accordée aux ombres. La dernière case de ce premier tome, où Sôseki perd son regard dans les neiges japonaises, laisse augurer d’une suite à la hauteur des fleurs des cerisiers de ce printemps 1906, qui, nous dit-on, "furent très belles".

Jirô Taniguchi (dessin) & Natsuo Sekikawa (scénario), Au temps de Botchan, tome 1, Seuil, 2002, sens de lecture : japonais, noir et blanc, 247 pages, 15 euros