Tête de Chine
Le 5 décembre 2012
Après l’expo, le film. Portrait fulgurant de l’artiste chinois iconoclaste muselé par le système.
- Réalisateur : Alison Klayman
- Genre : Documentaire
- Durée : 1h31mn
- Date de sortie : 5 décembre 2012
- Festival : Festival de Berlin 2012
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Après l’expo, le film. Portrait fulgurant de l’artiste chinois iconoclaste...
L’argument : Ai Weiwei, artiste dissident de l’ère numérique, inspire l’opinion publique internationale et brouille les frontières entre art et politique. Arrêté par les autorités chinoises le 3 avril 2011, libéré sous caution le 22 juin, Ai Weiwei est, à ce jour, interdit de sortie du territoire. "Ai WeiWei : Never sorry", est le portrait d’un artiste engagé qui affronte sans relâche l’Etat chinois et nous rappelle de manière essentielle notre besoin de liberté individuelle, politique et artistique.
Notre avis : Ai WeiWei est un exemple passionnant de l’influence de l’art contemporain sur la géopolitique. A mesure que l’Europe lui consacre différentes rétrospectives et le sacre « artiste le plus influent de l’année* » , il devient la bête noire du pouvoir communiste chinois qui aimerait faire cesser ses provocations. Avec une inventivité toujours renouvelée, il répond chaque fois, avec son équipe, aux tentatives d’intimidation qui pleuvent sur lui. Lorsque les autorités lui ordonnent de détruire le hangar destiné à abriter ses créations, il organise une fête de démolition. Lorsqu’il se fait agresser par un policier, il poste sur Twitter les photos de son hospitalisation. Refusant de cautionner ce qu’il appelle une « fumisterie », il utilise tous les moyens à sa portée pour défier le régime, et en premier lieu la dérision.
- © Haut et Court
Alison Klayman est une journaliste indépendante basée à Pékin. La force de son film, réalisé avec talent, tient bien sûr aussi à la personnalité du sujet. Ai Weiwei est bon client : il est toujours d’accord pour se mettre en scène, ce dont témoignent ses nombreux autoportraits. Que ce soit la série des doigts d’honneur ou la photo de sa femme dénudée devant la place Tien an Men, l’homme privé est toujours présent dans ses créations. Cette manière de ne pas distinguer l’artiste, l’œuvre et le message politique est sans doute le résultat de son héritage : fils du poète révolutionnaire Ai Qing, martyr du cauchemar maoïste, il est constitué par son ascendance et son histoire personnelle de ce refus épidermique du système chinois.
Le film est tout à la fois biographie, témoignage, manifeste pour la liberté d’expression. Le talent de la documentariste est de mettre en image le centre névralgique de la lutte que mène Ai Weiwei depuis le début de son activisme : son intelligence du visuel et de la communication. Contrairement à l’artiste, les autorités ne mesurent pas le pouvoir de l’image, et le film en est la convaincante illustration. Une scène, particulièrement : l’artiste et son équipe dinent dehors tandis qu’un policier zélé muni d’une caméra filme scrupuleusement la scène. Un assistant d’AI Weiwei se poste alors à quelque centimètres de lui pour le filmer à son tour. Les deux restent ainsi de longues minutes, imperturbables. C’est là la base de la résistance d’Ai Weiwei, retourner par l’audace et l’absurde l’oppression.
Il connait en effet la force des images, le poids des symboles, et se sert des intimidations du pouvoir à son égard pour le dénoncer comme une force d’oppression à la face du monde, à travers son activisme sur internet. A ce titre les images en caméra cachée de son agression par un policier constituent un document inédit et rare sur la réalité du système chinois.
Sa communication est simple, faite de gimmicks efficaces (qu’il s’agisse de son exposition nommée « Fuck Off » comme de ses tweets lapidaires et provocateurs). Lorsqu’on lui pose la question, il répond que cela ne le dérange pas d’être devenu une « marque prônant la liberté de pensée ». On devine qu’Ai Weiwei est un narcissique, mais qui à la fois ne se prend pas tout fait au sérieux, l’homme étant toujours au service de la cause.
- © Haut et Court
Chef de file des artistes dissidents chinois, Il est paradoxalement sans doute plus célèbre en Europe (ou la Tate Moderne, le Jeu de Paume et la Martin Gropius Bau à Berlin lui ont consacré une exposition ces deux dernières années) que dans son propre pays. On imagine que cette reconnaissance à l’international, en lui assurant un soutien à l’étranger l’a protégé pendant un certain temps.
La force du documentaire d’Alyson Klayman est qu’il saisit l’histoire en marche et montre les images des protestations lors de la détention de l’artiste qui dura quatre-vingt jours en 2011. Les images d’Ai Wei Wei défait, éprouvé par sa détention (pour laquelle le pouvoir ne s’est pas donné la peine de donner un motif) laisse une impression durable, douloureuse, celle de la fragilité évidente de l’individu, aussi déterminé et habité par la résistance soit-il, fasse au système qui ne se cache pas d’être au-dessus des lois.
Cette séquence lui rend doublement justice, car le contraste entre l’homme tel qu’on le voit pendant la première partie du film, indomptable et jamais à cours d’audace, puis de toute évidence brisé, au moins pour un temps par sa détention, mettent à nu les méthodes du pouvoir, violentes, nébuleuses, promptes à violer les droits les plus fondamentaux des citoyens.
Aujourd’hui Ai Weiwei est assigné à résidence et muselé sur internet. Récemment, le pouvoir a fait installer des caméras de surveillance autour de sa maison. En réponse à cela, Weiwei joue la carte de la surenchère et dispose des Webcam à l’intérieur de celle-ci, dont le contenu (Ai Weiwei en train de manger, de dormir, de nourrir ses chats) est diffusé en ligne… jusqu’à ce que les autorités ordonnent leur retrait.
Ai Weiwei never sorry est à voir, car en prenant pour sujet un artiste qui ne joue pas le jeu, Alison Klayman réussi à donner à voir autant le zèle des petits exécutants, que la vraie nature du système.
*Il est classé numéro un de la « power list », le classement annuel de la revue internationale Art Review, en 2011.
- © Haut et Court
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