À plein temps - Éric Gravel - critique

Critique : La respiration régulière de celui (ou celle) qui dort du sommeil du juste, bientôt interrompue par la sonnerie du réveil qui annonce à la belle endormie qu’il est temps de se préparer pour une nouvelle journée marathon, une de plus parmi tant d’autres. Alors, comme tous les matins, Julie (Laure Calamy) réveille ses enfants, les confie à une femme âgée qui ne semble guère ravie de les accueillir avant de courir attraper son train.

Copyright Haut et Court

Cette diplômée d’une école de commerce est première femme de chambre dans un palace, un métier qui exige rigueur et sens de la perfection, une qualité qui l’incite à postuler pour un poste plus en adéquation avec ses aspirations. Pour y parvenir, elle est prête à surpasser tous les obstacles (y compris ceux générés par une grève des transports) et à déployer une artillerie lourde, au point de se mettre en danger et même de provoquer, sans état d’âme, quelques dégâts collatéraux. Entre recherche désespérée de moyens de locomotion, débrouille en tous genres, manquements professionnels, appels au secours et solutions bancales, c’est un véritable jeu d’équilibriste dont les conséquences se font de plus en plus oppressantes, que décrit Éric Gravel. Avec son premier long-métrage Crash test Aglaé en 2017, il avait déjà adopté le ton de la comédie douce-amère pour dresser, sur fond de conditions de travail dégradées, le portrait attachant d’une femme aux multiples facettes. Sans esbroufe ni parti pris, il confirme, une fois encore, son talent à s’inspirer de situations sociales contemporaines pour construire un récit cinématographique si criant de vérité qu’il crée une identification immédiate.

Copyright Haut et Court

Le réalisateur scénariste utilise au mieux l’énergie et la sensibilité de son interprète principale qui, après le bouleversant portrait de mère prête à tout pour offrir un meilleur avenir à son fils dans le récent Une femme du monde, revient nous toucher droit au cœur avec ce rôle de mère courage broyée par la dureté du monde du travail. La caméra se tient au plus près de son héroïne pour ne rien perdre du moindre de ses gestes, tout en laissant filtrer au milieu du chaos une admirable incandescence. Tandis que la musique lancinante d’Irène Drésel intensifie le rythme de la cadence infernale, la ville de Paris, à l’égale de n’importe quelle autre mégapole, joue la carte de l’inhospitalité allant jusqu’à asphyxier de son indifférence tentaculaire ces fourmis travailleuses prises au piège d’un combat collectif empreint de violence mais aussi de solidarité.
Porté par un texte vigoureux d’une extrême justesse, le jeu plein de vie de Laure Calamy (qui reçut prix de la meilleure actrice dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise 2021, tandis que le prix du meilleur réalisateur fut décerné à Éric Gravel) représente incontestablement le maillon fort du film. Un diamant brut qui brillerait cependant moins fort sans la présence de partenaires dits secondaires (à commencer par la lumineuse Anne Suarez) qui, avec une sincérité touchante, participent à la réussite de cette fresque humaine qui n’engendre pas la monotonie.