Cachez les poubelles !
Le 12 janvier 2017
Œuvre brute, nihiliste, vulgaire, sale, Trash Humpers n’aurait pu être qu’un défouloir punk s’il ne cachait un véritable hommage à l’esthétique VHS et à la tradition des masques dans les arts américains.
- Réalisateur : Harmony Korine
- Acteurs : Rachel Korine, Harmony Korine, Kevin Guthrie
- Genre : Musical, Expérimental
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 1h18min
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- Sortie DVD : 11 janvier 2017
Œuvre brute, nihiliste, vulgaire, sale, Trash Humpers n’aurait pu être qu’un défouloir punk s’il ne cachait un véritable hommage à l’esthétique VHS et à la tradition des masques dans les arts américains. Sous ses airs de found footage bordélique se révèle alors un manifeste poétique, inclassable et foutrement monstrueux, révélateur d’une Amérique white trash des petites banlieues du Sud profond.
L’argument : Nashville, Tennessee. Une série de saynètes mettant en scène des dégénérés masqués qui évoquent un croisement entre des vieux et de l’herpès. Ils tournent autour de la caméra, maltraitent tout ce qui leur passe sous la main, hurlent et tuent sans raison apparente leurs voisins « normaux » après avoir récité des vers de poésie foireuse.
Notre avis : Si vous avez déjà vu Gummo (1997) ou Julien Donkey Boy (1999), Trash Humpers ne sera peut-être pas si déroutant que ça. Pour les autres, en revanche, non familier avec cette phase plus brute du cinéma de Harmony Korine, on peut dire que vous serez soit totalement enthousiastes soit rebutés par ce concentré de chaos et d’esthétique vintage, délibérément hideuse, filmée dans des décors cauchemardesques de banlieues à la fois déserts et inquiétants. Le réalisateur n’a jamais caché son amour pour cette Amérique white trash, pauvre et démunie et il y revient encore une fois ici. Comme pour Gummo, le film se construit autour de séquences sans lien narratif apparent. Nous suivons quatre personnages aux masques de vieillards, les fameux "fornicateurs de poubelles", déambuler sur des parkings, des espaces de jeux, trailer parks, recoins de rue et terrains vagues à la recherche de containers contre lesquels ils pourront se masturber. Ils cassent un peu tout sur leur passage, tuent parfois, humilient beaucoup, chantent, dansent, rient et rencontrent tout un tas de personnages, souvent musiciens. De ce fait, Trash Humpers entretient autant de liens avec les récits picaresques qu’avec la comédie musicale. Le chant, le tap-dancing, les berceuses et airs traditionnels fredonnés y sont très présents, entrecoupés par le souffle et les saturations de l’enregistrement sur cassette VHS.
Car tout d’abord, Trash Humpers est un essai esthétique. Alors attention, ici le réalisateur n’est pas en quête du beau, mais au contraire d’une poésie qui naît de l’abject, de l’obscène, de la vulgarité. Le Marquis de Sade disait lui même : "La beauté est la chose simple, la laideur est la chose extraordinaire" dans ses 120 Journées de Sodome. Hé bien, les bacchanales prennent ici une dimension d’horreur sociale bien typée redneck. Le sexe se fait toujours en solitaire : fellation de branches, masturbations avec des légumes et viols de poubelles encore et encore. La baise à deux n’apparaît au bout du compte que dans les paroles des chansons, à l’exception peut-être de la scène avec les prostituées obèses mais les vieux passent plus de temps à leur donner des fessées qu’à faire autre chose avec elles. Entre les blagues racistes et homophobes, l’histoire d’un gars qui se fait rouler dessus par un tracteur, les tenues aux couleurs du drapeau confédéré et les accents bien marqués, pas de doutes, on est dans le Sud profond.
Portant des masques qui évoquent à s’y méprendre le grand-père du premier Massacre à la tronçonneuse, les personnages de Korine - il incarne d’ailleurs lui même l’un d’entre eux, celui qui porte la caméra bien sûr - s’inscrivent non seulement dans une tradition du monstrueux typique du Southern Gothic mais aussi dans une histoire de l’art aux États-Unis. Ils rappellent les photographies de Ralph Eugene Meatyard et Diane Arbus, les installations d’Edward Kienholz ou les travaux vidéo de Paul McCarthy. Les masques perturbent de par le caractère indéfinissable des personnes qui les portent. Ils menacent la normalité, rendent la question du genre absurde et sont un rappel grotesque et constant de la mort à venir. Les plans où les personnages se figent sont d’ailleurs les plus forts et les plus terrifiants. Le masque a donc valeur de miroir quant à cette autre Amérique que Korine cherche à dépeindre dans ses films. Du coup, ces êtres sont presque allégoriques, et ils ne font que concrétiser inlassablement l’obsession humaine pour la jouissance. Ils sont réduits à des besoins élémentaires : manger, déféquer, rire, pisser. Ils participent aussi à l’atmosphère d’inquiétante étrangeté du film, car monstrueux ils le sont à plusieurs niveaux. Obsessionnels, sadiques, ils n’hésitent pas à humilier l’autre, comme ces pseudo frères siamois reliés par un collant sur la tête qui font un spectacle de marionnette inspiré de Chang et Eng Bunker. Ils finiront par devoir manger des pancakes au produit vaisselle. Pas très cool.
Massacre à la tronçonneuse © DR
Diane Arbus, Masked Woman in a Wheelchair © DR
Ralph Eugene Meatyard © DR
Edward Kienholz, Five Car Stud © DR
Trash Humpers suit donc ce gang de vieillards malfrats pervers et stupides, qui ne pensent qu’à mettre le boxon comme de jeunes enfants ingérables. En se mêlant à eux, le cinéaste devient lui même un vandale, et certains y verront de l’ironie quant à un artiste qui a parfois été considéré comme un imposteur du septième art. Le cinéma de Korine est définitivement punk et c’est là sa force, il s’affranchit de toutes les règles du politiquement correct et de ce qui est considéré comme beau. Du coup, le choix de tourner en VHS donne une force particulière à ce film. Le son brut, l’image granuleuse, presque abstraite, les couleurs fades, tout contribue à créer une certaine angoisse, sans parler des rires crispants de Hervé, le personnage que Korine incarne. C’est cet aspect qui nous renvoie à une de ses influences principales : le Werner Herzog de Les nains aussi ont commencé petits. Même sens du grotesque et de la répétition, jusqu’à provoquer le malaise pur et simple.
L’autre qualité de Korine est sa perception de l’environnement. Il filme ce Sud banlieusard moche et terne, éclairé par des lampadaires et des lumières artificielles, que personne n’oserait montrer car peu spectaculaire. Des rues tristes et vides, des terrains de jeux où aucun enfant ne va, et des poubelles toujours. Au loin, on entend le flux incessant des voitures, mais personne ne semble exister en dehors de sa maison et son véhicule. De fait, quand Hervé s’exprime sur cette souffrance des personnes enfermées dans leur quotidien et dans leurs petites vies de gens moyens, il semble faire référence à ce contexte. Certains pourront y voir une critique sociale quand les quatre frappadingues détruisent des postes de télévision et des postes radio. Mais comme le disait Harry Crews, "il n’y a rien de plus monotone que le vice humain" et, malgré leur rejet de tout et leur quête de la liberté à tout prix, ces vieux semblent aussi avoir un besoin de transcendance comme la fin le prouve, achevant ce chaos visuel et sonore sur une touche apaisée. Le vide d’expression des masques renvoie-t-il au vide de leurs actes ?
Principalement tourné la nuit, Trash Humpers, avec son aspect found footage comme retrouvé dans un débarras, mêle alors le documentaire et l’apocalyptique. Dans ce wasteland, ces personnages ne semblent choquer personne. Ils transportent des poupées accrochées par un fil à leur vélo et croisent parfois un macchabée recroquevillé dans des herbes sombres, mais tout le monde semble s’en moquer, vu qu’ils sont tous enfermés dans leur bolide ou leur tanière. Parfois un chien fait une apparition, mais Korine met bien en avant le caractère dévasté et déshumanisé de ces banlieues maussades. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’incite pas au tourisme et qu’on est à des lieues de l’ambiance country et paillettes que les clichés associent à Nashville.
Au final, ce sont souvent les séquences les moins explosives qui restent en tête : ce personnage à demi assis qui défèque devant un garage, ce moment où dans son fauteuil roulant la vieille explique à un jeune garçon comment cacher un rasoir dans une pomme, cet homme qui danse étrangement comme imitant le son d’une locomotive... On retiendra aussi le slogan de la bande, "Make it, don’t fake it !", et ces chansons qu’ils fredonnent sans cesse : "Three little devils..." Ce diables, est-ce que ce serait eux ? Tous ces instants de poèmes récités et de ritournelles mènent le film directement du côté du conte, et les vieillards en seraient les ogres ou les croque-mitaines.
On s’aperçoit ainsi que derrière l’aspect improvisé, sans fioritures et repoussant de Trash Humpers, le film en appelle à tout un héritage culturel que Korine a parfaitement intégré. Comme le disait Baudelaire, la laideur est le meilleur moyen d’accéder au sublime. Au fil des rencontres, les quatre cavaliers de l’Apocalypse de cette Amérique redneck nous mènent à une forme de transe utopique. Le réel et l’irréel se mêlent jusqu’à l’abstraction poétique. Alors oui, Trash Humpers est un film qui se mérite et se subit, mais on en sort définitivement grandi.
Le DVD
Les suppléments
Niveau suppléments, l’édition ne présente hélas qu’un court métrage de quinze minutes nommé Umshini Wam où les musiciens de Die Antwoord jouent là encore deux attardés en fauteuils roulants qui s’insultent, fument des gros pétards, jouent au basket, portent des costumes ridicules et qui finissent par tuer, tout en aspirant au pardon et à être de bons rappeurs. L’image est léchée, contrairement à Trash Humpers, et même si certains thèmes se retrouvent, l’exercice est au final très anecdotique. On aurait bien aimé une interview du réalisateur ou une analyse des références culturelles du film. Dommage.
Image & Son
Ne vous attendez pas à du super son surround, Trash Humpers tire sa force du grain analogique, des compressions et de tout ce qui faisait le charme de la VHS. On a parfois même l’impression que certaines scènes ont été enregistrées par dessus d’autres. Et les inscriptions PLAY ou REWIND nous rappellent constamment le matériel avec lequel le film est tourné. Alors oui, le son est crade, l’image est dégueulasse, et c’est bien la raison pour laquelle il faut vous procurer ce Trash Humpers.
https://vimeo.com/192608744
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