Le 2 août 2015
Un premier film noir, dérangeant, qui, au-delà de ses parti-pris esthétiques, au-delà de la dimension homosexuelle, fait un constat sinistre sur notre monde.
- Réalisateur : Ester Martin Bergsmark
- Acteurs : Saga Becker, Iggy Malmborg, Shima Niavarani
- Genre : Comédie dramatique, LGBTQIA+
- Nationalité : Suédois
- Editeur vidéo : Outplay
- Durée : 1h21mn
- Titre original : Nånting måste gå sönder
- Date de sortie : 10 décembre 2014
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La réalisatrice suit pas à pas un jeune androgyne dans une quête éperdue d’amour et de sens.
L’argument :Stockholm, entre zones industrielles et terrains vagues, Sebastian, un garçon à la beauté troublante et androgyne, se met en danger en ayant des aventures sexuelles avec des inconnus. Alors que tout est à deux doigts de déraper, le téméraire Andreas apparaît et le sauve in extremis. Entre ces deux fortes personnalités, c’est le coup de foudre. Mais cette relation intense et soudaine va être des plus électriques...
Notre avis : Le film s’ouvre sur un plan symbolique : un doigt vient se piquer sur des ronces, vus de près, sans profondeur de champ. Le choix esthétique est planté, comme est annoncé l’un des thèmes majeurs, la douleur, celle des personnages qui vont buter sur un monde dur et sur des sentiments difficiles à vivre, et celle du spectateur qui ne sera pas épargné par cet itinéraire brutal, sordide parfois. Mais Something must break, tout en ne déviant pas d’un programme esthétique, raconte aussi tout autre chose. On pourrait même, dans ce film court, trouver exagérément ambitieuses toutes les pistes ouvertes : film social, film politique, film d’amour, film « queer », film sur le sexe, sur la quête d’identité … La grande réussite, sans conteste, est de brasser tous ces aspects tout en ne quittant pas Sebastian, le héros, qui devient Ellie au terme de multiples séquences courtes, montées cut, caméra à l’épaule. En somme, le film se présente comme un puzzle dans lequel chacun puisera à son gré. Les multiples directions prises par la cinéastes sont rendues homogènes par ce parti-pris de ne pas quitter le personnage principal, à la manière de Rosetta des frères Dardenne.
C’est souvent une caractéristique des premiers films que de vouloir tout embrasser à la fois. Something must break n’y échappe pas. À travers cette déambulation, Ester Martin Bergsmark nous parle de notre monde et de l’impossibilité d’y vivre. Monde marchand dans lequel on « achète des merdes qui nous anesthésient » : la société de consommation, visée ici, apparaît dans les supermarchés, dans le travail du héros, et dans quelques phrases prononcées, qui renforcent l’opposition entre les deux amants ; là où Andreas voit du « bon matos », Sebastian ne voit que des « merdes ». De même en quelque plans le travail est montré comme une aliénation, une routine qui isole et désespère, comme est désespérante la solitude, l’impossibilité d’aimer. À cet égard les scènes avec Léa sont représentatives de cette vision d’un romantisme convenu qui bute sur la réalité.
C’est aussi la ville qui étouffe : en quelques rapides plans d’ensemble soutenus par une musique agressive, la cinéaste dévoile sans insister ce quotidien inhumain, bruyant, hostile. Il est dès lors significatif que les échappées poétiques soient situées en hauteur (colline, escaliers) ou en marge (voir la scène de baignade près d’une bouche d’égout). Vivre, aimer dans nos cités tient de la gageure ou de l’entêtement. Peut-être aussi notre monde meurt-il d’une absence de spiritualité : un plan inouï, en extrême ralenti évoque une piéta sacrilège dans laquelle un homme urine sur Sebastian. Plan saisissant, sombre et froid, sublimé par un orgue aux accents religieux, qui s’oppose à tous ceux, sensuels qui montrent la peau, les caresses, la douceur des étreintes entre les deux héros. Le choix du gros plan confère à ces passages un érotisme presque tactile.
Car enfin, le film parle surtout d’amour et de sexe. Sexe facile dans des rencontres sordides, dangereuses, mais surtout sexe comme don à l’être aimé. Les couleurs chaudes, la lumière qui nimbe les corps d’un côté, les tons bleus et les décors crasseux de l’autre. Mais cette opposition n’aboutit qu’à un triste constat:l’amour est impossible, ne reste que le sexe violent et anonyme. Malgré une fin optimiste et quelque peu convenue, la noirceur l’emporte. Comme le chantait Jean Ferrat, « personne ne peut plus simplement vivre ici ».
Ajoutons que le film tire sa réussite de la performance inouïe de l’acteur principal, jeune androgyne en quête perpétuelle, visage lisse dans cet environnement violent. C’est lui aussi qui met en valeur les échappées, véritables bouffées d’air dans un ensemble étouffant : la scène où il respire profondément, en hauteur, confère une véritable grâce à ce petit moment.
Il faut saluer l’audace d’un premier long-métrage de fiction qui emprunte des chemins peu balisés : Something must break se rattache au cinéma moderne par le refus de nombreux artifices (studio, éclairage ...), du scénario bétonné, de la psychologie comme explication. Malgré certains dialogues pesants, il serait dommage de négliger cette expérience cinématographique hors-normes.
Œuvre dure, parfois brutale, souvent juste et essentielle, Something must break sort enfin en DVD après un petit passage dans les salles (2.577 entrées).
Les suppléments :
Une interview de 44mn avec l’auteur du film est proposée. On peut regretter des questions un peu trop longues, et le caractère amateur de la réalisation qui rend l’exercice pénible.
L’image :
Master correct, souvent juste dans les tons, qui gagne dans les plans lumineux. En basse-luminosité, la copie est plus rugueuse.
Le son :
Le format sonore 5.1 suédois, en Dolby Digital, est un peu léger, avec une prise de son initiale abrupte. Cela confère au film une certaine légitimité, une pertinence arty proche du documentaire. Quelques bons effets sonores remuent un peu la projection pour accentuer l’étrangeté de cette œuvre à ne pas rater.
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