Eros et Thanatos : les affres de la passion
Le 21 janvier 2014
Un OVNI cinématographique à découvrir d’urgence signé du producteur des premiers Kubrick, James B. Harris.
- Réalisateur : James B. Harris
- Acteurs : Tisa Farrow, Richard Pryor
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h43mn
- Titre original : Some Call it Loving
- Date de sortie : 24 octobre 1973
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Dans un précédent papier, nous avions proposé la notion d’OFNI, ces incroyables objets filmiques non identifiables qui planent au-dessus du 7e Art. Some call it loving (Sleeping Beauty), dont s’est manifestement beaucoup inspiré le récent Sleeping Beauty avec la fascinante Emily Browning, est une œuvre étrange et à part réalisée en 1972 par le producteur des premiers films de Kubrick (L’Ultime razzia, Les sentiers de la gloire, Lolita), James B. Harris. Le monsieur n’a d’ailleurs fait que 3 ou 4 films en tant que réalisateur, connus des cinéphiles chevronnés, qu’il nous tarde de découvrir après la projection de cette version ultra modernisée de La Belle au bois dormant. Le film revient en version remastérisée directement dans les salles obscures...
L’argument : Jennifer est endormie depuis huit ans et exhibée depuis de fêtes foraines en fêtes foraines. Pour un dollar, Robert, musicien de jazz, l’achète et l’éveille d’un baiser dans sa luxueuse demeure. Peu à peu, elle devient le centre d’un jeu pervers d’amour et de mort. Une version baroque de La Belle au bois dormant.
Notre avis : Rareté à tous points de vue, Sleeping Beauty fut projeté à la Quinzaine des réalisateurs en 1973 mais resta pourtant dans l’anonymat faute de trouver son public. Brodant sur le mythe de La Belle au bois dormant, James B. Harris nous conte l’histoire d’amour cruellement éternelle d’un riche propriétaire esseulé en apparence distingué mais dénué de tout sens moral alors qu’il décide de chosifier une belle sur laquelle il a tout pouvoir et qu’il contrôle à l’aide d’une fiole contenant une substance magique capable de donner la vie ou la mort. La belle, d’une blancheur et d’une pureté immaculée, finit par se réveiller grâce au baiser du prince, mais le prix à payer pour vivre leur passion est incommensurable. On vous laisse découvrir lequel. Tantôt envoûtant, subversif, inquiétant et extrêmement dérangeant, Some call it loving convoque nos propres fantasmes tout en jouant sur un panel d’émotions contradictoires. Une expérience éprouvante- qui rappelle davantage les écris du Marquis de Sade que La belle au bois dormant- pour un spectateur pris entre fascination et répulsion à la vue de ce conte d’apparence gothique dont la beauté n’a d’égal que la cruauté. James B. Harris nous livre ses réflexions sur l’amour, le désir et le couple, tandis que l’histoire semble comme improvisée au fil des expériences limites de l’homme et de la femme et du jeu de rôle plus ou moins mortifère que se livrent sans relâche les deux protagonistes. Opposant sans cesse Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort, le cinéaste explore les fantasmes masculins tout en recherchant la frontière ténue entre amour, dévotion et possession, allant jusqu’à mettre en lien l’adoration de la femme avec celle de la vierge Marie pour son fils. Tout est vu du côté de l’homme, Christ sacralisé par la passion des femmes et dévoré par son propre désir. Pris de l’angoisse d’un éternel recommencement de l’échec amoureux, il refuse en fait toute stabilité affective et se prive d’un accès au vrai bonheur en se complaisant dans le rêve pour éviter un retour à la norme imaginé comme destructeur du désir. Mais le contrôle qu’il a sur toutes les femmes (on peut supposer que la nouvelle venue n’est ni la première ni la dernière), enfermées par une prison d’amour dans son château rococo, n’est qu’illusoire. En interprétant systématiquement un rôle (tantôt jeunes vierges, servantes, épouses, maîtresses, nones, accessoires sexuels,...), pantins tragiques assouvissant ses caprices, elles ne sont jamais vraiment elles-mêmes. Est-ce cela l’amour ? Peut-on aimer jusqu’à la folie ? A quels sacrifices pouvons-nous consentir pour combler l’être aimé ? Le prince, passant de tentateur à confesseur, biaise le jeu de la vie pour éviter de souffrir. Lui-même, malgré son acharnement à façonner son Pygmalion, n’est qu’un autre jouet d’un destin qui le dépasse. En définitive, seule la mort est une certitude. On ne peut changer la personne qu’on aime ni même la forcer à aimer pour l’éternité. Comme l’a dit James B. Harris, « dans une relation amoureuse, la responsabilité de l’échec incombe aux deux parties ». Chacun a besoin de s’épanouir individuellement et d’assouvir ses propres désirs pour espérer atteindre la béatitude conjugale. C’est du moins une part de l’enseignement de Some call it loving, qui, par sa stylisation quasi théâtrale et ses multiples interrogations existentielles devient parfois quelque peu hermétique (rappelant un peu l’aridité de Meurtre dans un jardin anglais) et peut paraître prétentieux en raison de son incroyable ambition. Il n’en demeure pas moins un film infiniment riche, nimbé de cette inquiétante étrangeté qui le hisse sans mal au rang d’un pré-Eyes Wide Shut auquel l’on fait face sans jamais détourner le regard.
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