Pelléas et Mélisande, le chant des aveugles - la critique

Philippe Béziat retrace une aventure musicale riche et complexe. Avis aux curieux et aux passionnés d’opéra.

L’argument : Moscou, juin 2007. Olivier Py, Marc Minkowski, chanteurs et musiciens de Pelléas et Mélisande, sont tous confrontés à l’étrangeté de l’opéra de Claude Debussy, représenté pour la première fois en Russie. Le film de Philippe Béziat témoigne de leur travail et de leur fascination pour cette oeuvre.

Notre avis : Pelléas et Mélisande est le nom du seul opéra composé par Claude Debussy. Méconnu, il n’avait jamais été monté en Russie. C’est désormais chose faite par la coordination d’Olivier Py - metteur en scène - et Marc Minkowski - chef d’orchestre. Philippe Béziat qui les a suivis de près, retrace la progression de cette longue aventure.
Bien que cela soit un plaisir de voir Marc Minkowski en plein travail de direction, il n’est pas un seul instant question de faire la promotion du chef d’orchestre ou du metteur en scène. Le cinéaste se concentre davantage sur l’exploitation des personnages du spectacle. Au cœur du récit initial, la dichotomie entre les deux protagonistes masculins (celui qui recueille Mélisande et celui qui s’en fait aimer) est très forte. Philippe Béziat accentue cette démarche en interrogeant longuement les deux acteurs - physiquement opposés - les incarnant. Il transforme cette antagonisme primaire en dispute dyonisaque-appolinienne. Comme le développe Nietzsche dans La naissance de la tragédie, cette différence fondamentale, humaine et morale, est la cause même du tragique (Dyonisos, l’instinct primitif, en communion avec la terre, versus Appolon chargé de rêve, de poésie et d’interprétation). Les amours contrariés de Mélisande prennent ainsi l’ampleur d’un drame grec antique. Ces conflits résument à eux-seuls la musique de Claude Debussy qui se distingue de l’opéra dit « classique » de par ses tonalités moins accentuées que dans les œuvres italiennes.

© Les films Pelléas

Malgré la complexité du matériau original, Philippe Béziat tente de faire partager au plus grand nombre cette expérience riche et unique en son genre. L’opéra n’est pas un loisir fréquenté par tous. Il peut être considéré comme un plaisir réservé aux musiciens, aux passionnés de lyrisme, voire aux bourgeois, mais le documentaire, ici, se veut moins une vulgarisation qu’une approche grand public, en 1h30, facilitant l’accès à ce spectacle difficile. De ce fait, la démonstration de l’universalité de la musique et des thèmes abordés aidera probablement à chacun de trouver des éléments qui lui correspondent parmi les différentes niveaux d’intérêt - artistique, esthétique, voire philosophique et spirituel - de l’œuvre explorée.
Au final, s’il n’est pas certain que le métrage touche tous les publics, il captera au moins les passionnés et les curieux armés de courage.