Le 20 septembre 2022
Un documentaire témoignage qui donne enfin la preuve que vivre dans une cité stigmatisée ne détermine pas le futur de ses habitants. Une œuvre à la lisière de la sociologie et de la création artistique.


- Réalisateur : Adnane Tragha
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les films qui causent
- Durée : 1h12mn
- Date de sortie : 21 septembre 2022

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Résumé : À Ivry-sur-Seine, en proche banlieue parisienne, la cité Gagarine, détruite en 2020, était un symbole. Ce film la fait revivre, à travers le regard d’Adnane Tragha, qui a grandi en face, et par les mots de ses anciens habitants. De retour dans la cité déserte, ils évoquent leurs souvenirs du lieu. Daniel, Loïc, Karima, Yvette, Foued, Samira ou encore Mehdy racontent leur vécu, expérience, ressenti. Les difficultés autant que la solidarité, la stigmatisation autant que l’entraide, les bons souvenirs comme les mauvais. Croisant les temporalités et les expériences, « On a grandi ensemble » peint, par petites touches subjectives, l’histoire d’une cité comme tant d’autres. Ce film est une « contre-histoire », la réhabilitation d’une parole trop rare, un hymne aux quartiers populaires. « À la fois documentaire, fiction, travail d’archives, le documentaire est multi-facettes, à l’image de la cité. »
Critique : Cette grande tour derrière laquelle file le RER est vouée à la destruction. Une page se tourne dans l’histoire de la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine. Adnane Tragha a grandi ici, du moins dans un immeuble privé qui jouxte la cité. Il entreprend un film pour témoigner des vies minuscules qui ont eu lieu dans ces bâtisses de briques rouges, immenses, et celles qui recommencent ailleurs. Le documentariste a déjà écrit un ouvrage sur cette cité en désuétude. Il a besoin de passer par l’image, comme pour témoigner des traces d’existence qui subsistent ici. On vient y jouer de la musique, se confier à la caméra, et surtout on fait de ces lieux des espaces de création et d’exposition pour mieux faire surgir les souvenirs.
On n’a pas idée aujourd’hui du choc que ces appartements ont été dans la vie des habitants. La douche, les toilettes incises dans les appartements, les ascenseurs signaient le droit pour les populations modestes à la modernité. Adnane Tragha distribue ainsi la paroles essentiellement à des anciens. L’enjeu est de témoigner de l’historicité de ces lieux, de celle des familles qui ont pu accéder à la fois au travail et au logement en intégrant Gagarine.
Les souvenirs qui resurgissent bénéficient d’un a priori positif. Mais peu à peu, les témoins confient les difficultés, la violence, la drogue, loin des images d’Épinal d’une cité à laquelle les habitants seraient attachés. Le documentariste raconte la descente sociale de ces espaces urbains, où le chômage, l’enclavement, la misère abîment les gens. Il raconte aussi l’ouverture culturelle et intellectuelle dont chacun doit se doter pour espérer échapper au déterminisme social. Les rapports filles-garçons, adultes-enfants et même les rapports de classe sont disséqués à l’aune de la dégradation sociale qui hante le quartier et de l’espoir aussi d’offrir à sa vie un modèle différent.
On pourrait regretter une mise en scène assez démonstrative. Certaines scènes sont reconstruites à la façon d’un clip musical, ce qui peut nuire à l’intérêt anthropologique du propos. Pour autant, Adnane Tragha refuse de créer un ouvrage à vocation sociologique. Il construit une œuvre de cinéma avant tout qui donne la part belle aux humanités oubliées de la cité Gagarine. Le cinéaste rejette toute tentation de généralisation. Il offre un film bigarré, musical, et hybride, comme la vie en quelque sorte.