Moonlight - Barry Jenkins - critique

Critique : Trois tableaux. C’est le rythme biblique (père, fils et Saint-esprit) qu’adopte Moonlight pour peindre une vie, celle de Chiron, enfant sans père, perdu dans un monde de violence et de drogue dans un Miami solaire. Mutique et droit, le garçon chétif condense toutes les craintes dont on peut souffrir dans un contexte aussi chaotique que le sien (violences quotidiennes, absence de repères…), mais pas seulement. Son parcours singulier est aussi, et c’est la grande force du film, une ode universelle à l’acceptation de soi, celle du devenir adulte. Une fois baptisé symboliquement par son mentor, Chiron naît réellement et se confronte à cette vie qu’il fuit sans cesse. Il parle peu mais bien et lorsqu’il questionne, on l’écoute, on s’interroge nous aussi.
Entre les trois périodes, les ellipses embarquent leur lot de mystère : que va devenir Chiron ? Quid de sa mère, de son entourage ? L’intelligence de Jenkins (scénariste et réalisateur) est d’imposer une ligne de force claire et simple à son récit sans s’attarder sur le misérabilisme puant de Precious. L’avenir des protagonistes semble se détacher dans un ailleurs qui n’appartient plus au champ de la caméra mais à celui plus largement politique d’une fracture sociale ambiante, sans solution apparente. Notre seul et unique point d’ancrage, Chiron, suffit à dresser le portrait. On est quasiment avec le jeune homme tout le temps sans savoir ce qui se trame dans sa tête.
L’opacité du garçon, sa retenue, autant d’éléments qui pourraient nous laisser sur le carreau. Mais la force tranquille de Moonlight travaille suffisamment les neurones pour nous pousser dans ses interstices et réfléchir sa vie comme une vie “lambda” qui pourrait être celle de quiconque né là-bas. Ça passe parfois, ça casse souvent mais le moteur reste simple. Avancer. Toujours, obstinément. Si parfois, le dispositif semble hermétique, le temps d’installer sur la durée sa mécanique implacable, le récit parvient à ses fins. Et l’ambition qui est celle de dessiner l’histoire d’un homme dans un monde cruel qui n’accepte pas les singularités s’achève dans un lyrisme et un romantisme d’une justesse infinie. Un point de chute inattendu dans une mise en scène aride révélant à cet instant toute sa bouleversante beauté.