Le 13 août 2018
Deux êtres en résidence font l’expérience fugace d’une attirance réciproque. A partir d’un canevas classique, Pautrel trouve globalement la note juste.
- Auteur : Marc Pautrel
- Editeur : Gallimard
- Plus d'informations : Le site officiel
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Résumé : « Puisque le Domaine est une propriété privée et qu’il ne passe ici qu’un ou deux véhicules par jour, nous marchons en plein milieu de la chaussée, la route nous appartient, on dirait qu’elle a été tracée pour nous seuls au milieu des vallons, percée à flanc de coteau puis parfaitement aplanie, égalisée et goudronnée uniquement pour que toi et moi puissions y marcher tous les deux côte à côte le plus confortablement possible, et parler, parler sans cesse, expliquer, imaginer, se souvenir, inventer, interroger, démontrer, raconter, échanger nos idées, nos mots, nos vies. »
Notre avis : Une brève rencontre métamorphosée en épiphanie, on connaît. La littérature et le cinéma ont fait de ce sujet un genre en soi. Cependant, Marc Pautrel parvient à transcender le topos, grâce à une écriture simple et évidente, qui excelle à saisir une part d’universalité dans le déroulement d’une expérience singulière. Ce récit très court se présente comme une longue lettre adressée à une jeune femme et la seule existence de ces mots atteste non pas tant d’un espoir d’être lu que d’une manière de prolonger, par l’écriture, ce que fut la magnificence d’une rencontre. Car le narrateur nous apprend, dès le début de son propos, que sa mémoire défaillante lui a fait perdre jusqu’au regret de ne plus être en compagnie ("un autre moi aveugle a utilisé les longues heures de sommeil pour tout effacer soigneusement").
Dans cette perspective, écrire, c’est encore fixer cette forme d’éternité du sentiment, né d’un bonheur équivoque, c’est retrouver les couleurs et les douleurs d’une situation proprement impossible, qu’une expression rappelle comme une antienne : "mon compagnon". En effet, l’objet du désir est un être à dérober. Or, l’homme en question n’est pas là, ne contrariera pas les deux résidents.
Ceux qui ne deviendront jamais amants flirtent avec l’idée même de l’amour, dans le cadre bucolique d’une propriété, mystérieusement nommée le Domaine, où l’on croise des scientifiques de toutes les nationalités. On pense évidemment à la villa Médicis, mais il pourrait s’agir de n’importe quel lieu où s’épanouirait, à l’unisson des chemins traversés et des réactions qu’ils suscitent, un échange empreint de pudeur et de convoitise.
L’émotion naît d’une lutte entre les temps du récit : les imparfaits proleptiques annoncent l’issue malheureuse ("tu voulais rester avec moi autant que je voulais rester avec toi"), les présents de narration leur répondent ("Nous partons sur la route"), qui retiennent les heures par l’aiguille, pour se souvenir d’une promenade où des corps revigorés à la perspective d’être ensemble, ne perçoivent plus la déclivité d’une pente et les efforts qu’elle suscite. C’est sans doute le moment où l’écrivain consacré s’oublie, laisse à sa notoriété le soin de peupler des lieux où il ne sera pas. Lorsque la séparation approche, ouvrant le vide à ses pieds, consacrant la perspective d’un prochain texte, on a l’impression que l’homme transi d’amour rejoint l’auteur qui bientôt le consolera et reprend ses droits à la faveur d’un dernier repas, sans doute le plus énervant, puisque s’y déploie la comédie d’un entre-soi de gens brillants, où des intelligences théoriques se regardent, tandis que le style se met à bâiller ("je bois tes paroles et elles me font escalader le ciel").
Destinée à devenir un objet littéraire, la femme aimée suivait tout simplement son chemin vers le langage. La voilà prise entre des pages dont elle ne s’échappera plus.
Parution : 04-01-2018
Gallimard - collection l’Infini
80 pages, 118 x 185 mm
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