Le 4 janvier 2023
Brillant à bien des égards, parfois pompeux, La comtesse aux pieds nus mérite d’être vu et célébré à nouveau.
- Réalisateur : Joseph L. Mankiewicz
- Acteurs : Humphrey Bogart, Ava Gardner, Rossano Brazzi, Enzo Staiola, Edmond O’Brien, Valentina Cortese, Marius Goring, Warren Stevens, Franco Interlenghi, Mari Aldon, Elizabeth Sellars, Robert Christopher
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Swashbuckler Films
- Editeur vidéo : MGM/United Artists, Carlotta Films
- Durée : 2h08mn
- Date télé : 20 mars 2024 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Reprise: 25 mai 2016
- Titre original : The Barefoot Contessa
- Date de sortie : 15 juin 1955
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Résumé : Alors que Kirk Edwards, richissime producteur américain, cherche à mettre en route son prochain film qui sera réalisé par Harry Dawes, sa petite équipe se rend au cœur de Madrid pour admirer les talents de celle qui est déjà destinée à une brillante carrière : Maria Vargas. Cette dernière deviendra, en l’espace de trois films réalisés par Dawes, la nouvelle coqueluche de Hollywood. Cependant, Maria n’est à la recherche de rien d’autre que du bonheur, et du grand amour, que le monde dans lequel elle évolue peine à lui offrir.
Critique : Joseph L. Mankiewicz cultive sans déplaisir sa singularité, au sein d’un milieu hollywoodien peuplé de gens pour qui l’industrie compte souvent plus que l’art. Lui, producteur, scénariste et réalisateur émérite, maintes fois récompensé, s’évertue à contrebalancer les velléités non artistiques, clamant son amour du verbe et du joli dialogue. Il est aussi un symbole. Dans ses films, il avertit Hollywood de son déclin futur, notamment La comtesse aux pieds nus, mais y participe également en réalisant Cléopâtre (1963), avec Elizabeth Taylor, film étendard de l’échec du système.
Son frère, Herman Mankiewicz, écrivait le scénario de l’immense Citizen Kane (1943), vingt ans plus tôt. Alors la fratrie semble posséder un don. Car le Mankiewicz qui nous concerne aujourd’hui, Joseph, déploie sa prose avec un talent rare pendant les deux heures que dure l’épopée de Maria.
Il travaille admirablement les dynamiques entre ses personnages, au point de créer avec la relation Maria Vargas – Harry Dawes, soit Ava Gardner - Humphrey Bogart s’il vous plaît, un bonheur de développement et de complexité. L’un et l’autre se doivent énormément. Ils se séduisent à leur façon, sans jamais franchir le pas que d’autres productions auraient allègrement dépassé. Entre regards tendres et diatribes mélancoliques, entre confiance absolue et confidences nocturnes, ces deux-là éblouissent le roman que développe Mankiewicz.
- © 2023 Carlotta Films
Parler de roman de doit rien au hasard. En fait, l’œuvre fut d’abord pensée comme une fiction coincée entre des pages de papier, avant de devenir un film. L’influence majeure du format initial est d’ailleurs la limite principale du récit, là où les charmés seront nombreux en raison du parfum délicieusement suranné des dialogues, du talent incontestable de leur auteurs, et de leurs interprètes. En effet, la voix off envahit le récit, explique et réexplique ce que le spectateur a déjà compris, sans explorer davantage les émotions des personnages. Les échanges entre les protagonistes sont aussi élégants qu’ils manquent de naturel. Enfin, Mankiewicz étire son film plus que de raison.
Il glisse cependant une habile critique d’un système qu’il connaît sur le bout des doigts. Régulièrement en conflit avec la MGM, au point d’être produit ici par Figaro Inc., sa propre société, et United Artists. Il sort en 1953 de la production de Jules César, avec Marlon Brando, production d’une folle envergure, qui s’est mal déroulée.
Dès lors, lire dans le personnage de Harry Dawes, cinéaste désabusé, un alter ego de Mankiewicz, est aussi facile que pertinent. Il prend soin d’aborder le star system dans lequel Maria évolue, mais jamais la qualité de ses films. Il met en lumière l’attrait du public pour la vie privée des artistes, insiste sur le caractère idiot et viriliste des batailles d’ego entre producteurs et riches hommes d’affaires. De cela résulte la sensation d’un serpent qui se mord la queue, d’un système sur le point d’imploser : dix ans avant le Nouvel Hollywood, Mankiewicz en avertit ses pairs avec l’histoire de l’ascension de Maria.
- © 2023 Carlotta Films
Ce paradoxe du réalisateur critiquant le système tout en l’entretenant se poursuit dans la forme assez conventionnelle qu’il adopte dans sa mise en scène. Si les couleurs sont brillamment rendues par le Technicolor, avec ce léger déphasage entre les rouges vert et bleu qui donne ce petit halo d’époque sur les contours, l’inspiration n’est pas le maître mot du reste de la technique. Sans démériter, sans faire preuve d’un éclat particulier, Mankiewicz semble plus intéressé par le verbe que par le cinéma, comme susmentionné. Mais le talent du cinéaste et le charme des comédiens prend le pas, largement, sur les réticences qui pourraient être opposées aux nus pieds de la comtesse.
Fêter les soixante-dix ans de ce film magnifique, sans être impérial, reste indispensable pour comprendre son époque, s’y replonger, et savourer une histoire qui ne manque ni d’allant, ni d’un tragique qui n’est pas sans rappeler les plus grandes heures du théâtre classique.
Le test Blu-ray
Carlotta propose une édition absolument exceptionnelle pour La comtesse aux pieds nus, à la fois complète et techniquement irréprochable. Les superbes illustrations d’Anne Benjamin ne donnent qu’un aperçu du niveau de qualité de l’édition, « Ultra Collector », qui est limitée à deux-mille exemplaires.
- © 2023 Carlotta Films
Image
Le Technicolor trichrome, si reconnaissable, se trouve être respecté en tout point et joliment nettoyé.
Son
La voix off, très présente, demande parfois de tendre l’oreille quand on est habitué au niveau sonore du film. Mais le défaut, si tant est que c’en soit un, est mineur au regard de la qualité générale de la piste sonore.
Suppléments
Difficile de faire mieux. Un livre collectif, Mankiewicz contre Cendrillon, rédigé en collaboration avec l’excellent Revu et Corrigé répondra à toutes vos questions, même plus, alors que l’analyse de Samuel Blumenfeld est aussi précise que dynamique dans Conte défait (29 mn). L’émission Ciné-Regards (53 mn), enregistrée en 1981, où Joseph L. Mankiewicz aborde son rapport à l’écriture pour le cinéma, et raconte la direction de la Screen Director Guild, vaut le détour également. Elle est proposée uniquement sur le disque Blu-ray.
– Sortie DVD + Blu-ray + Livre : 22 novembre 2022
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