Le 7 mai 2015
Un très beau documentaire utile et d’un grand intérêt pédagogique en cette période où il faut sans cesse rappeler les graves dangers des idéologies ultranationalistes.
- Réalisateur : Sabrina Van Tassel
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h28min
- Date de sortie : 13 mai 2015
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Un très beau documentaire utile et d’un grand intérêt pédagogique en cette période où il faut sans cesse rappeler les graves dangers des idéologies ultranationalistes.
L’argument : La Muette est une cité HLM de la région parisienne. Pourtant derrière ces murs se cache l’ancien camp de Drancy où près de 80 000 juifs furent internés avant d’être envoyés pour la majorité d’entre eux vers les camps de la mort. Les habitants d’hier et d’aujourd’hui s’y croisent comme si la tragédie était attachée à son sol et à travers le temps...
© Distrib Film
Notre avis : « Ne sois pas trop ému ! », demande une vieille dame à son mari : il s’apprête, accompagné de la réalisatrice Sabrina Van Tassel, à retrouver un lieu qu’il a connu il y a fort longtemps – la cité de la Muette à Drancy, devenue le plus grand camp de transit des juifs pendant la seconde guerre mondiale (67 000 juifs furent déportés depuis Drancy, soit 90 % des juifs déportés de France). Le vieux monsieur a été interné pendant plusieurs mois, en 1942, dans cette « antichambre de la mort », avant d’être transféré au camp d’extermination d’Auschwitz. Alors enfant, il fut un des rares à avoir survécu à cet enfer.
C’est en tournant un documentaire, La tribu de Rivka (2010), que Sabrina Van Tassel découvrit l’existence de la cité de la Muette. Jusque-là, elle était persuadée qu’il ne restait rien de ce sinistre camp, sinon une plaque commémorative comme au Vél’ d’Hiv’. La réalisatrice fut « abasourdie » quand elle vit que cette cité de la Muette était quasi intacte et qu’environ 500 personnes vivaient aujourd’hui dans ces lieux de mémoire d’une grande douleur.
Images d’archives à l’appui, Sabrina Van Tassel retrace dans La cité Muette l’histoire de la cité et du camp de Drancy. Un nom prédestiné pour cet ensemble architectural « moderne » dont le projet naquit en 1931, mettant en place des tours, des bâtiments destinés à des logements sociaux, le tout entouré de grands espaces libres. Dès juin 1940, les Allemands jetèrent leur dévolu sur cette construction inachevée de bâtiments disposés en U, qu’ils dénommèrent « le fer à cheval », tant ils virent le parti qu’ils pouvaient en tirer, s’agissant de l’enfermement d’êtres humains. Ce « fer à cheval » servit dans un premier temps de camp de rétention pour des prisonniers de guerre. Puis, dès le 20 août 1941, la cité de la Muette devint un camp d’internement d’hommes juifs âgés de 18 à 50 ans. En juillet 1942, la terrifiante rafle du Vél’ d’Hiv’ en fit un lieu de séquestration d’hommes, de femmes et d’enfants juifs.
© Distrib Film
La gendarmerie nationale (300 gendarmes habitaient dans les tours avoisinantes) a d’abord eu la responsabilité de la garde du camp – les autorités allemandes se contentant d’en superviser la direction. Les quelques survivants témoignant dans le film disent qu’ils furent rassurés à leur arrivée en voyant que le camp était administré par des gendarmes : « Chouette, on est entre nous », pensa Francine. Ils comprirent très vite combien ils s’étaient trompés : nombre de gendarmes se révélèrent des êtres sadiques et profiteurs, se comportant comme des bras armés des SS. Ainsi le monstrueux capitaine Marcellin Vieux, responsable des gendarmes entre juin et septembre 1942, fit preuve d’actions machiavéliques (voir l’ouvrage Obéir : les déshonneurs du capitaine Vieux, Drancy 1941-1944, de Didier Epelbaum, Stock, 2009). Ce capitaine fut jugé en 1947 avec une quinzaine d’autres gendarmes, sur plaintes de détenus, mais, s’enfuyant en Argentine, il ne revint que dix ans plus tard sans émettre aucun remords, affirmant s’être contenté de faire son devoir… La réalisatrice va aussi à la rencontre de Camille Mathieu, un gendarme reconnu comme un « juste » pour avoir, lui, sauvé plusieurs détenus en désobéissant. Ce gendarme, révoqué en 1943, ne fut jamais réintégré dans la gendarmerie, contrairement aux quinze condamnés du procès de 1947…
Victor, Francine et Albert évoquent également les conditions sordides de la vie des reclus à Drancy : l’hygiène catastrophique, la nourriture journalière basée sur trois soupes très claires, avec un seul petit morceau de pain. Les détenus perdaient ainsi 25 à 30 kg en 3 mois. Ils reconnaissent qu’étant alors de jeunes enfants, ils voyaient moins gravement l’horreur de leur situation que les adultes. Comme à Bergen Belsen, où ils furent déportés ensuite, ils « surnageaient » plus ou moins. Dans leurs « flashes » apparaissent aussi leurs jeux, leurs petites joies et les premières amours qu’ils ont vécues à Drancy.
À partir de juillet 1943, c’est Aloïs Brunner, bras droit d’Eichmann et un des principaux rouages de la « solution finale », qui prit en main la direction du camp et se chargea d’y semer la terreur – il déportera en un an près de 23 000 juifs (hommes, femmes et beaucoup d’enfants). Ce grand criminel nazi réussit à échapper au procès de Nuremberg, coula des jours tranquilles en Allemagne sous un faux nom jusqu’à sa condamnation à mort par contumace à Paris en 1954 ; il s’enfuit alors à Damas, où il fut le conseiller en matière de torture de Hafez El-Hassad, père de Bachar – l’actuel dictateur de la Syrie… Cet impuni de Brunner serait probablement mort à Damas en 2010 à l’âge de 98 ans.
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Après avoir servi de prison pour les collaborateurs, la cité de la Muette reprit dès 1946 sa fonction initiale de logements sociaux. Comment y vit-on aujourd’hui ?, s’interroge Sabrina Van Tassel, tout en posant la question à des habitants de la cité. Viviane G., une dame d’une soixantaine d’années, dit qu’elle sait parfaitement ce qui s’est passé entre ces murs « hantés », mais elle n’avait pas d’autre choix sinon celui d’être à la rue. Elle déplore certes que de jeunes locataires lui disent que tout ce qu’on peut dire à ce sujet, c’est du « baratin ». Un psychiatre, passé enfant par le camp, trouve que c’est « barbare » de faire vivre dans ces bâtiments une population aussi vulnérable que celle des précaires et des malades mentaux. Serge Klarsfeld, conseiller historique de La cité Muette, ne trouve pas de problème à ce que des gens habitent un endroit « maudit et sacré ». Comment faire en effet pour éviter de traverser tous les lieux de souffrance et d’y vivre ?
La cité Muette est un documentaire solide, utile et qui alterne parfaitement images d’archives, témoignages, reportages actuels sur place, entre commémorations et vie quotidienne. Il a de plus un grand intérêt pédagogique – à une époque où il est toujours nécessaire de rappeler que les idéologies ultranationalistes ne peuvent conduire qu’à la haine et donc à la négation et à la destruction de l’autre.
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