La voie du ronin
Le 21 décembre 2014
Considérée par les puristes comme la meilleure adaptation cinématographique de la légende du célèbre samouraï japonais, une saga faite de chair et de sang...
- Réalisateur : Tomu Uchida
- Acteurs : Ken Takakura, Isao Kimura, Rentarô Mikuni, Kinnosuke Nakamura, Chieko Naniwa
- Genre : De cape et d’épée, Arts martiaux - Combats
- Nationalité : Japonais
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 645mn
L'a vu
Veut le voir
Contient les six films de la saga :
– "La légende de Musashi Miyamoto" ("Miyamoto Musashi" - 1961 - 110’)
– "Les moines lanciers du temple Hozoin" ("Miyamoto Musashi : Hannyazaka no kettô" - 1962 - 107’)
– "À deux sabres seul" ("Miyamoto Musashi : Nitôryû kaigen" - 1963 - 104’)
– "Contre tous à Ichijoji" ("Miyamoto Musashi : Ichijôji no kettô" - 1964 - 128’)
– "Le duel de l’aube" ("Miyamoto Musashi : Ganryû-jima no kettô" - 1965 - 121’)
– "Swords of Death" ("Shinken shobu" - 1971 - 75’)
Une décennie avant la saga sanglante des Baby Cart (l’une des principales inspirations tarantinienne) et la mystique spiritualiste de l’adaptation télévisuelle de La légende de Zatoïchi, la Toei s’emparait du mythe de Musashi Miyamoto, figure emblématique de la voie du sabre. Un film de samouraï à part, une fresque déroutante mêlant épique et intime à la mise en scène ambitieuse alternant entre flamboyance et austérité.
L’argument : Trois ans après la bataille de Sekigahara où il faisait partie du clan des vaincus, Takezo est devenu Musashi, un lettré féru d’arts martiaux. Il a décidé de parcourir le monde pour perfectionner son art auprès des meilleurs escrimeurs. Mais la terrible ascèse qu’il s’impose pour cela, malgré Otsu la femme qui l’aime, va lui faire oublier la dimension humaine qui doit guider toute entreprise dans sa vie : à son insu, il devient une machine de guerre. À Kyoto, les disciples du dojo des Yoshioka et les moines lanciers du temple Hozoin vont l’apprendre à leurs dépens…
Notre avis : Pour les Japonais, Musashi Miyamoto reste, encore aujourd’hui, un véritable modèle, presque une gloire nationale. Maître bushi (comprendre « guerrier gentilhomme »), philosophe ayant laissé de nombreux écrits, il est le plus célèbre bretteur de l’histoire du pays, lui qui n’aurait jamais perdu un seul combat. C’est le grand Misoguchi qui le premier réalisa un film sur Musashi, La légende de Musashi, avant que Hiroshi Hinagaki ne l’immortalise en 1954 avec dans le rôle titre le célèbre acteur japonais Toshirô Mifune, celui de Rashômon et des Sept Samouraïs. Tomu Uchida, dès 1961, s’inscrit dans une rupture franche avec ces versants hagiographiques de la légende de Musashi en questionnant l’humanité de son personnage et en insistant sur la découverte progressive de son identité profonde. L’hexalogie (six films de 1961 à 1971), adaptée du roman La Pierre et le Sabre de Yoshikawa Eiji, prend de nombreuses libertés avec la figure historique, comme pour en extraire la substantifique moelle. Musashi, à la recherche de sa propre spiritualité, s’engage sur la voie du sabre et terrasse tous ses adversaires, mais à quel prix. Il est sans cesse tenter par le démon qui sommeille en lui et peine à trouver sa place dans ce japon féodal (nous sommes en 1600) où les équilibres n’ont de cesse de se briser et où le pouvoir change sans arrêt de main. Samouraï sans maître, ronin livré à lui même et consumé par la voie qu’il s’est lui-même imposée, il parcourt un chemin semé d’embûche qui le conduira jusqu’à son extrêmes limites. Dans le film, la violence est éminemment plus psychologique que physique et se fonde sur les traumatismes profonds liés à l’impossibilité pour Musashi de se modérer et de ne pas annihiler ses adversaires à cause de son orgueil. Autrement dit, le héros présumé n’a de cesse de s’écarter de la voie de la sagesse pour mieux y revenir. Otsu, la figure de la femme fidèle qui tire Musashi du côté de la vie, est sans doute le personnage le plus intéressant du film car elle est la seule à accepter la part de bestialité inhérente à Musashi. Personnage pur à la beauté angélique, elle représente une possible rédemption. Taraudé par la faute et la culpabilité, Musashi devient un antihéros presque pathétique, en quête d’une humanité fuyante qui ne peut passer que par la reconnaissance de l’autre. A la différence de Baby Cart, qui présente un homme d’âge mur qui n’a plus rien à perdre après avoir été trahi, Takezo, le héros du film, est un gamin non éduqué qui rêve de duels et de gloire et qui ne choisit pas la « bonne » voie du sabre. C’est grâce à l’éducation et à l’élévation spirituelle que ce dernier pourra s’en sortir et tendre vers un idéal du zen. Mais il reste toutefois à se frotter au monde des hommes, ce qui n’est pas une mince affaire. Le premier épisode plante le décor et met en lumière la sottise de Musashi, qui, après son illumination par l’apprentissage, cessera d’être un garçon pour devenir un homme, troquant sa superbe contre un manteau d’humilité encore très fragile.
Ne vous y trompez pas, Musashi est bien un héros terrestre. C’est bien là tout son drame, lui qui sera sans cesse tiraillé entre son idéal ascétique et son besoin d’incarnation en tant qu’homme, avec ses défauts et ses failles. Une remise en question perpétuelle, sorte de quête initiatique itinérante, qui passionne par la réflexion sur le monde intérieur du personnage, et subjugue par la force de certaines images -en particulier des intérieurs à la lumière « verdâtre » absolument fulgurants et des scènes où le héros combat un ou plusieurs adversaires dans un paysage « vidé » et irréel chaque fois différent -. Et tout cela ne respire même pas le manichéisme, car tous les personnages sont troubles et peuvent basculer à n’importe quel moment dans la folie où la vengeance. Autrement dit, le samouraï est un homme qui ne peux que tendre à la perfection mais jamais l’incarner car il n’est pas le bouddha. Il reste profondément attaché à son statut terrestre, à ses sentiments humains, à son envie de posséder (un titre, une femme), à sa vanité qui passe par sa propre glorification. Ce n’est pas pour rien que Musashi est toujours présenté avec des doubles inversés ou miroirs de lui-même. : des fainéants, des cupides, des vantards, un samouraï invincible et arrogant, qu’il pourrait lui même devenir s’il n’y prend pas garde. Il s’emporte d’ailleurs facilement, tue en grand nombre (les références à la notion de péché sont nombreuses), et est d’une certaine manière esclave de son sabre. On pense parfois au Sabre du mal, chef d’œuvre en noir et blanc qui voit la déperdition d’un ronin invincible possédé par la noirceur de sa lame. Mais trêve de psychologisation, il y a dans le film des émotions qui se passent de mots, que le cinéaste attrape avec sa caméra avec quelques gros plans bien sentis que n’auraient pas renier un Sergio Leone. Le réalisateur prend son temps, distille ses plans-séquences à la louche pour prendre le pouls de cette société japonaise médiévale ou retranscrire la fureur vengeresse d’un combat. Même si chaque film est visible indépendamment, le réalisateur offre à sa saga une véritable logique en terme de continuité et en vient à travailler sa mise en scène comme reflet de l’état intérieur de Musashi. Si les trois premiers volets sont un peu plus lisses en cela qu’ils préparent le terrain et ont tendance à se répéter, le quatrième opus, où Musashi tue de sang froid l’enfant d’un clan rival, amorce un tournant décisif et nous plonge dans les méandres de l’âme tourmentée du personnage. Côté esthétique, les paysages deviennent véritablement angoissants, évanescents et désertés, comme si Uchida avait voulu transmettre sa propre vision du purgatoire, jusqu’à l’explosion de violence brute du dernier volet où tout l’espace se voit consumé par les flammes de l’enfer.
Au terme de son périple, Musashi acquiert enfin la sagesse et reconnaît s’être fourvoyé dans la voie du sabre. Le sabre est, comme l’existence, borné par deux polarités contraires : il est à la fois sabre de la mort et sabre de la vie et n’a pas de volonté propre. La seule chose qui compte est ce que son utilisateur décide d’en faire. La valeur d’un homme tient à ses actes, non à sa puissance. L’épée, n’est qu’un accessoire où peut se déverser l’âme humaine. C’est à notre sens l’un des enseignements les plus précieux que l’on peut tirer de la saga. Tiens tiens, Excalibur n’est pas bien loin. Références au kabuki, à Kurosawa, nombreuses séquences surjouées, La légende Musashi Miyamoto se place dans la continuité d’un cinéma japonais classique qui puise dans ses références culturelles. Les films refusent globalement le spectaculaire (on pense au cinéma très « tempéré » d’Ozu),et préfèrent traiter les combats en un contre un, les seuls garants du code d’honneur développé dans l’art du bushido, d’une manière elliptique ou expéditive. L’exemple le plus criant se trouve dans le cinquième épisode, où l’on attend pendant tout le film le combat entre Musashi et son ennemi juré, combat dont l’issue ne se jouera finalement qu’en quelques secondes jubilatoires. Cependant, Uchida nous gratifie dans chaque épisode d’un spectacle « naturaliste » grandiose, à la limite du théâtre, où Musashi combat plusieurs adversaires en même temps, jusqu’à 73 pour être précis, et est prêt à mourir. Là, chaque mouvement de sabre semble avoir été pensé dans le cadre d’une chorégraphie. Mais le réalisateur ne vise pas pour autant l’héroïsation de Musashi ; il ferait plutôt de son corps le réceptacle de toutes ses pulsions négatives et incontrôlables. Les éclairs de folie parcourant ses yeux lorsqu’il s’apprête à tuer attestent à la fois de cette folie meurtrière et de l’horreur qu’il ressent en contemplant ses propres actes de violence. Quelques giclées d’hémoglobine certes, mais la terreur reste sourde, glacée, presque figée et les séquences de baston sont loin de s’enchaîner comme dans Dragon Ball ou Bleach, pour reprendre l’idée de l’adéquation entre l’âme et le sabre (le zanpakuto), et rendre un petit hommage au phénomène manga. A noter que la légende de Musashi a irrigué le genre et a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation manga. Quant au rythme, assez lent, il laisse au spectateur le temps de se familiariser avec les nombreux personnages de la saga, qui ont tous une importance capitale dans leur relation au héros, en particulier le petit garçon qui deviendra son disciple et qui ne cessera de le suivre pour apprendre à ses côtés (un bel exemple de filiation contrariée). On regrettera par moment un schématisme un peu trop systématique qui a tendance à lasser et peine à créer la surprise, mais l’ensemble se regarde tout de même avec une certaine délectation, dans l’attente des moments clefs qui jalonnent le récit, véritables pics d’intensité dramatique et visuelle. Du grand, du très grand cinéma populaire. 12 heures au total !
LE TEST DVD : Une édition DVD techniquement bien calibrée mais chiche en bonus. Dommage...
Les suppléments :
Grosse frustration côté bonus. Outre quelques bandes-annonces et les commentaires astucieux de Fabrice Arduini, journaliste et directeur de programmation pour la Maison de la Culture du Japon sur chacun des films, rien à se mettre sous la dent. Dommage que les commentaires dudit Fabrice, intarissable sur la culture japonaise et le rapport entre le film et le livre (on ne pouvait l’arrêter lors de la projection des films au Festival Lumière de Lyon) n’aient pas été plus poussés. On aurait surtout aimé un peu plus d’infos sur les conditions de tournage, les choix du réalisateur, etc... Peut-être estime-t’on que 645 minutes de films se suffisent à elles-mêmes...
L’image :
Autant dire que la qualité de la copie est assez incroyable pour une saga qui s’étend de 1961 à 1971. L’éditeur a vraiment respecté l’unité esthétique sur l’ensemble des films et ne semble pas avoir trop touché aux couleurs, ne dénaturant donc pas le travail du directeur de la photo, absolument remarquable. Un peu trop de grain lors de certaines séquences en basse-lumière mais une image bien nette qui permet de goûter pleinement aux ambiances "surréalistes" créées par Tomu Uchida. On imagine déjà tout cela en blu-ray !
Le son :
Une qualité d’écoute nickel chrome. Des dialogues fluides qui claquent bien (en plus c’est du japonais !), une véritable importance donnée aux sons ambiants, un mixage de première qualité et une musique qui prend tout l’espace lors des morceaux de bravoure (ou de détresse) de Musashi. Du très bon boulot. Seul hic pour les quelques personnes qui ne supportent pas la VO, la VF n’est pas disponible. Pour notre part, cela serait une hérésie de songer à voir les films dans notre bonne vieille langue, et surtout ridicule pour 99 % des dialogues...
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.