Le 6 octobre 2014
Film évènement du festival de cinéma de Berlin en 2014, "Chemin de croix" met superbement en lumière les ravages provoqués par l’intégrisme religieux au sein d’une famille traditionaliste allemande.
- Réalisateur : Dietrich Brüggemann
- Acteurs : Franziska Weisz, Léa van Acken, Lucie Aron
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h50min
- Titre original : Kreuzweg
- Date de sortie : 29 octobre 2014
Film évènement au festival de Berlin de 2014, Chemin de croix met superbement en lumière les ravages provoqués par le fanatisme religieux au sein d’une famille traditionaliste allemande.
L’argument : Maria, 14 ans, vit dans une famille catholique fondamentaliste. A la maison comme à l’école, son quotidien est régi par les préceptes religieux. Entièrement dévouée à Dieu, elle n’a qu’un rêve : devenir une sainte. Suivant l’exemple de Jésus, elle entame son propre chemin de croix dont rien ni personne ne peut la détourner.
© memento.films
Notre avis : Film choc, Chemin de croix (Kreuzweg) fut l’un des évènements de la Berlinale 2014. Il reçut d’ailleurs, lors de ce festival de cinéma, l’Ours d’argent du meilleur scénario. Le réalisateur, Dietrich Brüggemann, en est aussi le coauteur, avec sa sœur Anna. Le sujet abordé, l’intégrisme religieux catholique, ne leur est pas étranger – ils ont même approché de près, au sein de leur famille et dans leur enfance, le milieu de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, ces prêtres intégristes ayant refusé de reconnaitre les réformes du concile Vatican II (1962-1965) et réunis en 1970 par le Français monseigneur Lefebvre. Lui et ses adeptes, excommuniés par le pape Paul VI, furent relevés de cette sanction par Benoit XVI en 2009, mais la réconciliation entre le Vatican et cette société intégriste n’a finalement pas eu lieu. On retrouve en France, parmi les militants de la « Manif pour tous », des fidèles de ce mouvement qui, bien sûr, condamne le divorce, l’avortement, l’homosexualité et la séparation de l’Église et de l’État…
Le réalisateur de Chemin de croix n’a pas souhaité faire le procès de ce mouvement intégriste et encore moins réaliser un film antireligieux. Son ambition a été davantage de mettre en lumière la manipulation mentale et l’endoctrinement liés à toute forme de fanatisme religieux. Et en cela il a parfaitement réussi son pari. Même si une certaine ambigüité demeure – l’exercice étant périlleux.
© memento.films
Dietrich Brüggemann nous entraîne tout en douceur au sein d’une famille catholique intégriste où règne une mère tyrannique et « phallique », qui a réussi à réduire à néant père et fils, pour mieux déployer sa « folie de Dieu » sur sa fille Maria, adolescente de 14 ans, sans doute la plus en danger à ses yeux. La première séquence rend à merveille la puissance et le ton du film : on assiste médusé à une séance de préparation d’adolescents à la confirmation de leur baptême. L’officiant est un jeune prêtre très séduisant (comme par hasard !), qui inculque à ces jeunes la façon de débusquer Satan dans le moindre détail, le moindre bonbon, une jolie robe – mais surtout dans les musiques modernes et donc endiablées. Ce père Weber pratique un véritable lavage de cerveau pour convaincre ces adolescents de se comporter comme des « soldats de Dieu ». Dès lors nous comprenons pourquoi Maria, la plus attentive de tous, sera la principale victime d’une idéologie écrasante véhiculée par le prêtre et sa mère. Maria n’est ici qu’à la première station de son chemin de croix qui, à l’image de celui du Christ de sa condamnation à mort par Ponce Pilate à sa mise en place dans le sépulcre, en comportera quatorze et passera par la privation, l’anorexie et… la mort. Son sacrifice est pour elle la seule façon d’échapper à l’étouffement et aux pieux mensonges tout en se vouant à l’amour du Tout-Puissant et de sa mère. Une mère qui restera totalement impassible devant pareil sacrifice.
© memento.films
La grande force de cette mise en scène épurée vient de ce que chacune des stations du calvaire de Maria est filmée comme un tableau, en plan-séquence fixe. Il en résulte une violente tension dramatique liée à tous ces lieux d’enfermement où sont reclus Maria et les siens. On ne dénombre que trois mouvements de caméra, dont chacun marque un décrochage dans la narration : un travelling pour traduire le passage de Maria de l’enfance à l’âge adulte lors de sa confirmation ; un panoramique au moment précis de la mort de Maria ; et un panoramique vertical au cimetière, comme si l’âme de Maria quittait la terre pour le ciel.
Si l’entreprise du réalisateur est sérieuse et grave, elle n’est ni sombre ni étouffante pour autant. Dietrich Brüggemann parvient à nous faire respirer au sein même d’un climat d’une tension pourtant redoutable. Pour cela il n’hésite pas, à travers les situations et les propos, à utiliser un humour des plus noirs ainsi qu’un ton macabre et sarcastique. La deuxième station qui met en scène la promenade dominicale après le sermon de la messe en latin est même, à certains égards, franchement drôle. De même, au lycée, la séance de gymnastique à laquelle Maria ne veut pas participer, parce que la course est accompagnée de musiques sataniques. Sans parler de la scène où la mère se révolte parce que sa fille lui demande la permission d’aller chanter dans la chorale d’une église… où on ne dit pas la messe en latin et où l’on chante des gospels !
Chemin de croix doit beaucoup aussi à une direction d’acteurs absolument remarquable. Il est clair que, dans un film constitué uniquement de tableaux, la rigueur d’un travail théâtral s’imposait. La jeune comédienne Lea van Acken est impressionnante dans le rôle de Maria – il s’agit de son premier film. Franziska Weisz, elle, est plus vraie que nature dans son rôle de mère psychorigide, castratrice et quelque peu monstrueuse. Quant à Florian Stretter, en prêtre qui manie si bien la perversité, il est tout simplement épatant.
Chemin de croix est un film salutaire, d’une actualité brûlante, entre manifestations intégristes catholiques et actes barbares perpétrés par des terroristes au nom de Dieu. De tout temps l’intégrisme religieux a fait des ravages. Le Christ n’a pas cessé de le dénoncer – et d’ailleurs, n’en a-t-il pas été la première victime ?
© 2014 Uta Oettel
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skrue 7 novembre 2014
Chemin de croix - la critique du film
Attention Spoilers.
J’ai beaucoup apprécié ce film.
La manière de filmer est très sobre, la majorité du film se fait en plans fixes, organisés en séquences suivant les différentes étapes du chemin de croix de Jésus, et invitant donc le téléspectateur à se mettre dans la peau de Maria et à vivre et ressentir la vie avec elle.
Le film est un violent réquisitoire contre l’intégrisme religieux. Il ne le condamne pas directement, mais à travers l’évolution du personnage de Maria tout au long du film, ce qui est peut-être encore plus efficace.
Car on peut à la fois observer et peut-être comprendre les motivations de cette croyance intégriste (par exemple la musique moderne avec des rythmes sataniques reflète selon eux le danger de la danse et donc de la séduction de l’autre en vue de l’union en dehors du mariage en commettant le pêché de la chair) et de l’objectif de la pureté et du sacrifice (valeurs profondément ancrées dans la religion catholique, notamment avec des figures saintes comme Anne de Guigné, fervente croyante décédée à à peine 11 ans), mais ces principes étant poussés à l’extrême de part un endoctrinement abusif par sa mère et le prêtre, on voit également l’évolution de cette jeune fille déchirée entre son envie de vivre et son amour de Dieu, amour dont on se doute un peu qu’il est aussi le résultat de l’endoctrinement imposé par sa mère et le prêtre, notamment par rapport à la position religieuse de Christian, son camarade de collège, dont le dogme est beaucoup plus tolérant à l’égard des aspirations humaines.
La notion de sacrifice revêt une importance toute particulière dans le film, notamment par la connaissance dès le début du film de la relation entre Maria et son jeune frère muet qu’elle souhaite guérir par son sacrifice et dont on comprend très vite que le lien entre eux est beaucoup plus fort qu’avec les autres membres de la famille (sauf peut-être entre Maria et sa mère, dans un autre registre).
On assiste ainsi à son isolement idéologique et social de plus en plus progressif jusqu’à la fin du film, sous la coupole d’une mère dominatrice et d’un père muet et effacé qui n’osera qu’à peine contredire son épouse qu’à la toute fin du film.
Le film, tout en restant sobre et d’un minimalisme intimiste, réussit à toucher le cœur du téléspectateur que j’ai été...
ikkos 16 février 2017
Chemin de croix - la critique du film
Plus qu’à l’intolérance et aux contradictions d’une foi poussée au paroxysme et enfermée dans le rigorisme, j’ai été sensible au message de ce film qui fait passer toutes ces évidences au second plan, comme il permet d’endurer la longueur fastidieuse des séquences et le détail d’un catéchisme susceptible d’ennuyer les athées sans rien apprendre aux croyants. L’idée du sacrifice de sa vie, pressentie par la lourde insistance dès le début sur le rôle de soldat du chrétien, n’est pas neuve ; mais celle d’une participation aux desseins de la divinité par l’acceptation d’assumer la même épreuve imposée à son Fils et d’entrer ainsi dans un dialogue direct et contractuel avec elle pour en singulariser l’objet, puisqu’il n’appartient à aucun mortel de sauver l’humanité entière, bref de dépasser la foi par l’amour et l’adhésion par le don total de ce que nous possédons de plus précieux, la vie, , me paraît de nature à faire comprendre l’apport véritable du christianisme, bien au-delà de ses formes historiques si souvent décevantes.