Le silence de la guerre
Le 11 février 2003
L’embrigadement d’un milicien impliqué dans la planification d’une barbarie silencieuse.
- Auteur : Jens-Martin Eriksen
- Editeur : Métailié
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Danoise
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Récit d’une descente vers l’horreur, Anatomie du bourreau relate l’embrigadement d’un milicien impliqué dans la planification d’une barbarie silencieuse.
Le narrateur s’appelle Z. Les autres personnages sont dépourvus d’identité. C’est un "commandant", c’est Delta ou Gamma. Ça pourrait être n’importe qui. Vous, moi, n’importe qui... Pas de lieu, pas de pays. Les villes s’appellent Zanzibar ou Columbus. Et pourtant... On s’y voit dans cette guerre ethnique, on la situe. Ex-Yougoslavie sans doute. Mais ça pourrait se passer en Tchétchénie. Un pays qui n’intéresse plus les instances internationales, dépourvu d’intérêt financier. Z est un milicien de cette armée du diable, enrôlé par hasard, qui a tiré un trait sur sa vie d’avant. Comme les autres, il ne sait pas vraiment ce qu’il fait là. La seule chose dont il soit sûr, c’est qu’il doit obéir aux ordres.
Enrôlé dans la milice pour effectuer une sale besogne. Se rendre dans tel ou tel village, rassembler les habitants puis les emmener ailleurs... Les conduire là on où on leur dit, si possible sans faire de vagues, discrètement... Les hommes de plus de seize ans seulement. Ceux qui restent ne comprennent pas, s’insurgent, se rebellent... On règle leur sort d’une balle, en tenant le fusil bien droit, à l’endroit où la nuque et le cou se rejoignent... Il arrive parfois de croiser un regard qu’on connaît. Celui d’un ami d’enfance. Pour éviter la culpabilité et la honte, on charge quelqu’un d’autre d’effectuer le travail à sa place.
C’est un long monologue, envoûtant, musical, poétique. Malgré la gravité du sujet, malgré la teneur des propos. Et l’on pense dès le premier instant au Bardamu de Voyage au bout de la nuit. Un milicien un peu lâche, parachuté sans comprendre pourquoi au coeur de cette armée, agissant comme une mécanique programmée, soumis... En proie au doute, sensible... Mais obéissant, quoi qu’il arrive. Le style ensuite. Cette façon qu’a le personnage d’analyser ce qui lui arrive, le langage par lequel il transcrit ses états d’âme, la mélodie de sa douleur et des doutes qui le harcèlent.
On s’inquiète de ce cheminement. Ce qui choque au début se transforme rapidement en habitude pour ces soldats. Les cauchemars disparaissent, les cris de terreur s’amenuisent. Et tragiquement, ces hommes s’enlisent dans leur routine meurtrière... Génocide programmé, sans vraiment de raisons, sans brusquerie, sans que le sang coule, sans protestation, en silence, dans l’indifférence générale.
Rapport clinique des états d’âme d’un milicien ordinaire, Anatomie du bourreau révèle la défaillance des consciences. Quand l’aveuglement et l’indifférence prennent le pas sur la pitié et les sentiments... comme la petite mélodie de l’oubli. Désespérément authentique.
Jens-Martin Eriksen, Anatomie du bourreau (Vinter ved daggry, traduit du danois par Eric Guilleman), Métailié, 2003, 166 pages, 10 €
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