Le 30 avril 2015
Confessions d’un ancien bourreau !
- Réalisateur : Salomé Lamas
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Portugais
- Distributeur : Shellac
- Date de sortie : 2 juillet 2014
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Sortie DVD : le 6 mai 2015
Entièrement filmé à Lisbonne, Terra nullius de Salomé Lamas, fut présenté dans plusieurs festivals internationaux. Ce film de qualité et exigeant est sorti dans les salles françaises le 2 juillet 2014. Le DVD, qui outre le film propose deux courts métrages de la réalisatrice et un entretien, devrait trouver un écho auprès d’un public averti.
L’argument : Paulo de Figueiredo offre un magnifique portrait de la cruauté et des paradoxes du pouvoir que les révolutions ont abattu dans le seul but d’ériger de nouvelles bureaucraties, de nouvelles cruautés et de nouveaux paradoxes. En tant que mercenaire il est à la frontière entre ces deux mondes.
© Shellac Sud
Notre avis : Une belle plongée sur une forêt et une canopée. Puis la caméra nous entraîne à travers un sentier mystérieux dans une maison vide. Là, dans une pièce sombre aux murs délabrés, une chaise et dans le fond un morceau de tissu noir. Un homme moustachu, en jeans, à l’air débonnaire, vient s’asseoir sur cette chaise. Il nous déclare qu’il s’appelle José Paulo Sobral de Figuereido et qu’il a 66 ans. Puis ce Lisboète nous annonce dans un petit sourire : « Je veux raconter ma vie, chacun en pensera ce qu’il veut ». Ainsi commence Terra nullius, confessions d’un mercenaire, premier long métrage de la jeune cinéaste portugaise Salomé Lamas, dont plusieurs de ses courts métrages ont été remarqués auparavant dans divers festivals de cinéma documentaire.
Terra nullius est donc le portrait du mercenaire Paulo de Figueiredo. Pendant soixante douze minutes, assis sur une chaise, face caméra, avec des cadrages plus ou moins rapprochés, cet ingénieur en électronique devenu tueur, raconte sa vie, en cinq jours et 89 courts fragments séparés par un écran noir. Les divers moments de la narration s’échelonnent entre 2011 et 2012 pour des faits survenus entre 1966 et 1990.
D’abord, les guerres coloniales portugaises entre 1966 et 1981 : Mozambique, Angola. Figueiredo, soldat de commando sous Salazar, confesse : « Notre mission était de les liquider, nous ne faisions pas de prisonniers, que des cadavres ». Il se souvient notamment, avec une froideur amusée, de ces noirs de « ouistitis » qui sautaient de leurs cages sous l’effet des grenades : « à chaque case sa grenade ». Et d’ajouter : « aux grands mots les grands remèdes » pour « ceux qui ne valent rien »...
Après la décolonisation et la révolution portugaise d’avril 1974, le baroudeur reprend du service en Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe) car trop « accro » à « l’odeur du sang et de la poudre ». Puis il dit avoir été contacté, comme nombre de ses camarades de commando, par les services secrets américains, la CIA, pour combattre au Salvador, et éliminer la guérilla marxiste : « C’était les mêmes arbres qu’en Afrique, la même espérance de vie, j’étais chez moi ». Figueiredo est ensuite enrôlé par l’Espagne dans les GAL, les Groupes Antiterroristes de Libération, commandos paramilitaires chargés d’exécuter des terroristes basques : « Nous étions des assassins, point final » comme d’autres vont au boulot de 8h à 17h…Et de conclure : « Toutes les personnes que j’ai tuées ne m’ont jamais empêché de dormir ». Le mercenaire sera enfin condamné à plusieurs années de prison en France pour son appartenance aux GAL.
© Shellac Sud
Paulo de Figuereido répond avec clarté et beaucoup d’aisance aux questions posées par la cinéaste. Questions absentes de l’écran. Les quelques respirations à ce monologue, souvent captivant mais parfois pénible, proviennent de quelques commentaires en voix off de Salomé Lamas correspondant à certaines recherches sur le contexte historique et politique des déclarations du mercenaire.
Mais au fond qui est José Paulo Sobral de Figuereido ? Où se situe-t-on ici : vérité, demi-vérité ou mensonge ? A-t-on affaire à un mythomane ? Un vrai ou un faux salaud ? D’emblée on ne sait pas quoi penser. On se le demande encore bien davantage après avoir recueilli tant de confessions aussi sereinement. De plus on découvre à la fin du film que Figuereido est aujourd’hui un sans abri qui vit sous un pont avec deux camarades de galère africains, dont on ignore ce qu’ils savent de lui. Salomé Lamas nous apprend en voix off qu’il a peu à peu rompu tout contact avec elle et s’est désintéressé de cette aventure cinématographique, avant de disparaître. Pour toutes ces raisons on sort de Terra Nullius plutôt troublé et avec un certain sentiment de malaise.
L’intérêt de Terra nullius tient surtout dans la réflexion possible autour du thème politique et violence, qui découle de ces récits de meurtres sordides et sur commande. Comme le dit Salomé Lamas de façon assez désabusée : « Le paradoxe de cette cruauté du pouvoir et des révolutions qui l’ont détrôné, est qu’elles n’ont servi qu’à ériger de nouvelles bureaucraties, de nouvelles cruautés et de nouveaux paradoxes. ». Même si elle prend le soin de préciser qu’avant tout il était important pour elle de « révéler et non juger ».
Par ailleurs, la réalisation minimaliste du film ne donne place qu’à la seule parole brute du mercenaire. Salomé Lamas ne resitue jamais la « vérité » du mercenaire dans une vérité historique plus large. On regrettera ainsi d’être livré seul à sa culture et ses propres références pour décoder les différents faits évoqués. Cette liberté et ouverture devraient, selon la cinéaste, nous permettre de distinguer dans son film ce qui relève de la fiction et du documentaire, ou plus exactement ce qui relève de la fiction dans le documentaire… L’entreprise de Salomé Lamas est hardie et même parfois fascinante, mais pas complètement convaincante. Avec Terra nullius on risque en effet de passer à la fois à coté d’une leçon d’histoire et d’une leçon sur la nature humaine.
LE TEST DVD :
Les suppléments :
– Deux courts métrages de la réalisatrice et qui n’ont qu’un intérêt mineur ; ils s’apparentent davantage à des travaux de fin d’études d’école de cinéma qu’à des documentaires aboutis. Le premier Encounters with landscape 3x (26min) présente trois paysages filmés presque uniquement en plans fixes. Un de ces paysages représente une rivière, du côté des Açores, et une femme se contorsionnant pendant sept minutes sur la branche d’un arbre avant d’en tomber ; le deuxième paysage est une montagne dans la nuit, on entend des voix signifiant que deux personnes se sont égarées ; pour le troisième paysage, on ne sait pas trop... bref.
Teatrum Orbis Terrarum (26min) pourrait être, entre réalisme et fantastique, une balade poétique entre roches et eaux...
– Un entretien avec la réalisatrice (25min) nous conforte dans les partis-pris de réalisation pas vraiment convaincants de Salomé Lamas.
– La bande annonce
L’image :
La réalisation minimaliste du film ne demandait pas un travail d’importance au niveau de l’image (photographie et lumière) pour le film Terra nullius du DVD. En revanche le DVD retranscrit parfaitement les nuances de gris comme les couleurs plus éclatantes des deux courts métrages.
Le son :
Concernant le film, on fera les mêmes remarques que pour l’image. On saluera les prouesses de la piste Dolby Digital 5.1 qui rend à merveille, dans les courts métrages, le moindre cliquetis d’eau en mouvement ou le plus minime bruissement de feuille.
© Shellac Sud
Galerie Photos
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