Sixties Poem
Le 29 juillet 2014
Un poème élégiaque, entre trip psychédélique et philosophique et témoignage vibrant sur l’Amérique des années 1960.
- Réalisateur : Theo Kamecke
- Acteur : Laurence Luckinbill
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Américain
- Date de sortie : 30 juillet 2014
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- Année de production : 1970
"Moonwalk One" ne se contente pas de retracer une des prouesses technologiques les plus marquantes du XXe siècle. Le documentaire se livre à une expérimentation intrigante, dans son montage visuel et sonore, et offre finalement un poème élégiaque, entre trip psychédélique et philosophique et témoignage vibrant sur l’Amérique des années 1960.
L’argument : Réalisé entre 1969 et 1970, Moonwalk One capte la première tentative de l’Homme de marcher sur la Lune lors de la mission Apollo 11. Véritable documentaire de création, le film permet enfin de découvrir à l’occasion du 45e anniversaire de la mission des images tournées grâce au matériel de la N.A.S.A. et à ce jour jamais montrées. Mêlant séquences d’archives et moments captés dans le vif de l’action, Theo Kamecke donne à voir cet événement tel qu’il a été vécu à l’époque : une aventure humaine incroyable, une épopée scientifique hallucinante, un bond dans le futur au sein d’un présent chaotique, mais aussi une avancée vers l’inconnu, avec ce qu’elle offre de possibilités de changement, et de responsabilités.
© Archives NASA
Notre avis : Un an et demi avant le lancement d’Apollo 11, la NASA eut l’idée de faire un film sur cet événement qui allait bouleverser l’histoire de l’humanité. L’idée était de revenir sur cette ambitieuse prouesse technologique avec pour apogée les premières images d’un homme sur la Lune. Francis Thompson et Alexander Hammid, cinéastes documentaires très en vue, avaient été approchés pour la réalisation suite au succès de leur court métrage To Be Alive ! qui retraçait sur plusieurs écrans le passage à l’âge adulte d’enfants d’Afrique, d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. Au départ, ce film, dont le titre provisoire était Man in Space, aurait dû bénéficier d’un budget de plusieurs millions de dollars et être distribué par la MGM. Mais voilà, la fameuse firme abandonna le projet et face à l’échec de la NASA à trouver d’autres financements, les réalisateurs s’engagèrent sur d’autres projets. Cela dit, six semaines avant que la fusée ne décolle, la NASA décida de reprendre le projet mais avec un budget bien moindre de 350.000 dollars. Les gens étant bombardés d’images de la mission à travers les médias, ils ne souhaitaient pas produire un banal film institutionnel. Ils voulaient quelque chose de plus artistique et c’est Theo Kamecke, monteur sur To Be Alive !, qui reprendra le projet. Il deviendra par la suite un sculpteur renommé et sa fibre artistique était déjà bien établie.
© Archives NASA
Pour débuter et clôturer le métrage, il fit le choix de filmer le monument préhistorique de Stonehenge en Angleterre et d’installer d’emblée une ambiance mystique et méditative. Les images de haute technologie qui vont suivre mettent ainsi en avant le chemin parcouru par l’humanité. Malgré l’aspect parfois très technique de certains passages, il est évident que nous sommes face à un documentaire pas comme les autres. En raison du budget restreint, Theo Kamecke a donc pioché dans des images d’archives fournies par la NASA et tournées durant les missions précédentes. Les différents formats de ces matériaux contribuent à l’esthétique singulière du film, mélange de 16 mm, 35 mm, 70 mm, de vidéo, de diapositives, d’extraits de films de science-fiction (notamment Flash Gordon ou l’épisode Tragedy on Saturn de la série Buck Rogers). Une séquence, par exemple, revient sur la biographie de Robert Goddard, le pionnier américain des fusées, une autre nous montre les tests d’endurance sur le corps humain ou les essayages des tenues d’astronautes. Le choix d’une esthétique de collage a été privilégié que ce soit sur le plan visuel ou sonore. Si le film est narré par Laurence Luckinbill, homme de théâtre et comédien promis à une grande carrière - il tourna notamment dans Les garçons de la bande de William Friedkin, Des amis comme les miens d’Otto Preminger au début des années 70, avant de se retrouver dans de nombreuses séries télé ou dans un film aussi médiocre que Cocktail avec Tom Cruise -, il intègre aussi des interviews, des conversations enregistrées entre les astronautes et la base de Houston, des voix tirées de sujets d’actualité. Pour la partie musicale, le compositeur d’avant-garde Charles Morrow a été convié. Ce choix est là aussi très pertinent car Morrow s’est toujours intéressé aux relations entre la technologie et les pratiques archaïques, voire chamaniques. Il parvient à utiliser chaque son comme s’ils appartenaient à une partition musicale. On est vite envoûté par la dimension hallucinée de cette bande-son - certaines compositions de Morrow seraient utilisées dans un autre film-trip, Au-delà du réel de Ken Russell. Toujours dans cet esprit de cut-up, on peut donc passer d’une superbe mélodie pour violoncelle à des orgues solennelles ou des pop songs datées ("Goodbye Mother Earth" par Larry Weiss) sans oublier les nombreuses sections cosmiques, accentuées par des images de toute beauté.
© Archives NASA
Plusieurs choses sautent aux yeux dans l’approche de Kamecke. Le réalisateur a fait le choix évident de privilégier l’aspect humain de cette aventure. Il filme les visages au plus près de cette foule venue en masse assister à l’événement. Il montre Neil Armstrong ou Buzz Aldrin comme des êtres comme tout le monde et non comme des surhommes. Il capte les regards, enregistre les rires, les échanges, laisse entendre ces anciennes couturières reconverties dans des vêtements qui semblent sortis d’un space opera de série B. Même si l’aspect technologique est montré et étudié, il apparaît au final comme abstrait, presque surréaliste. Les plans du décollage ressemblent plus que tout à une toile de maître, avec leurs éclats de couleurs fascinantes. Et comment ne pas se sentir émerveillé par ces plans de la Terre filmés de l’espace ? Quoi de plus beau que ces plans de la faune et de la flore, ces paysages vastes inondés de soleil ou recouverts de glace, ce miracle qu’est la vie terrestre ?
© Archives NASA
Mais ce qui ressort aussi de façon flagrante, c’est ce portrait de l’Amérique des années 60, sa fascination pour la technologie et son espoir dans un avenir glorieux. Pourtant, Kamecke nous montre les conflits et tensions sociales, les Black Panthers, la Guerre au Vietnam, etc. Le tableau allait se noircir clairement, mais l’optimisme était encore de rigueur. Kamecke intègre les néons de la ville, les nightclubs, les fast-foods, les touristes mangeant des hot-dogs et toutes ces caractéristiques vestimentaires ou capillaires qui font les marques d’une époque. La bande originale en appelle aussi au psychédélisme de l’époque et les liens avec le 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick sont légion. Malgré cela, l’enthousiasme n’est pas général. Certaines voix enregistrées s’insurgent que ces sommes d’argent colossales n’aient pas été utilisées pour aider les pauvres dans le monde. Les années 60 étaient après tout une période de contrastes.
© Archives NASA
De par tous ces aspects, le film dépasse les explications techniques (pourtant importantes) pour devenir un poème irréel et esthétique. On regarde l’infiniment grand et l’infiniment petit, les galaxies et les molécules, et on se laisse porter par les questionnements de la narration qui s’accumulent et qui en appellent d’autres. On retrouve ce sentiment de l’émerveillement du monde qu’ont les enfants. Nous sommes comme ces spectateurs aux quatre coins du monde, la bouche bée devant leur écran quand le 20 juillet 1969 ils voient le premier homme à avoir marché sur la Lune. Présenté à Cannes en 1971, le film tombera pourtant dans l’oubli malgré des critiques très favorables à sa sortie. Il n’intéressera pas les distributeurs d’une part et d’autre part, on a pensé pendant longtemps que les négatifs originaux étaient perdus jusqu’à ce que l’on retrouve une copie 35 mm du film original chez le réalisateur. Ce 30 juillet, nous pourrons enfin le découvrir en salles pour le 45e anniversaire du vol Apollo 11.
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