Le 18 mars 2014
Un film de fiction méconnu de 1960, situé à Saint-Nazaire, à l’époque du lancement flamboyant du paquebot France, et réalisé avec beaucoup de sincérité par Henri Fabiani, grand documentariste.
- Réalisateur : Henri Fabiani
- Acteurs : Gina Manès, Jacques Higelin, Henri Crolla, Irène Chabrier, Jean Martinelli
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 1h33min
- Date de sortie : 26 septembre 1962
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Un film de fiction méconnu de 1960, situé à Saint-Nazaire, à l’époque du lancement flamboyant du paquebot France, et réalisé avec beaucoup de sincérité par Henri Fabiani, grand documentariste.
L’argument : Un jeune homme, Alain, quitte brusquement le toit familial et se retrouve à Saint-Nazaire confronté aux dures réalités de la vie des chantiers navals. Grâce à l’amitié de deux hommes et à l’amour d’une jeune fille, il reprendra ses études pour devenir ingénieur et enfin adulte.
© cinéma-français.fr
Notre avis : 11 mai 1960. « Le paquebot France est lancé, il va épouser la mer… Sa mission sera de transporter d’un bord à l’autre de l’Atlantique des hommes, c’est-à-dire des pensées et des activités, des foyers de connaissances et des sources de travail, de l’art et de la richesse. » Ainsi s’exprimait le général de Gaulle lors du baptême du célèbre paquebot, dont la marraine était « tante Yvonne » (madame de Gaulle). Ce sont les images de ce lancement que nous donne à voir Henri Fabiani dans les premières minutes d’un film tourné en 1960 : Le bonheur est pour demain. D’autres plans montrent ensuite une foule en liesse, une population nazairienne fière de ce fleuron de la Compagnie générale transatlantique, sorti tout droit de ses chantiers.
Le bonheur est pour demain est l’unique long-métrage de fiction d’Henri Fabiani, qui s’était jusqu’alors illustré par ses talents de documentariste, notamment avec Les hommes de la nuit (1952) et La grande pêche (1955), primés respectivement aux festivals de Venise et de Cannes.
Au départ, le réalisateur pensait consacrer, à partir de l’industrie navale de Saint-Nazaire, un court-métrage au professorat de l’enseignement technique. Lors des repérages, il fut tenté par une fiction dont le thème s’est vite imposé : « Les jeunes issus du prolétariat et de la petite bourgeoisie étaient beaucoup plus tentés par le bonheur que par l’argent. » Une fiction pouvant s’inscrire dans l’arrière-fond du chantier naval de Saint-Nazaire.
© Solaris
L’histoire de ce Bonheur est pour demain est des plus simples. Un garçon d’à peine vingt ans, Alain (Jacques Higelin), en rupture avec sa famille bourgeoise ruinée par le jeu, déambule le long des quais de Saint-Nazaire, en cette soirée du lancement du paquebot France. Traînant son mal de vivre, il est près de se jeter à l’eau. Passe José (Henri Crolla), un ouvrier caréniste du chantier naval, qui le repère et l’empêche de faire une « bêtise »… Ce José au grand cœur le recueille chez lui, le laisse décider de ce qu’il veut : rester ou partir à Brest. Une complicité s’instaure d’emblée entre Alain et José, entre l’élève et son mentor – la musique et la guitare de José aidant à leur rapprochement.
Une certaine Annie (Irène Chabrier), secrétaire au chantier naval, rencontrant fortuitement Alain chez José, commence une romance sentimentale entre la jeune fille sage et primesautière avec robe à carreaux vichys (à la Bardot) et nattes (à la Marie-José Neuville, la « collégienne de la chanson »). Nous sommes en plein roman-photo des années 1960. Entre les célèbres Nous deux et Intimité. Sauf qu’Alain au comportement de grand dadais attend qu’Annie, plus hardie, engage un flirt encore retenu. La jeune ingénue se révélera autrement plus audacieuse, lorsque Alain ne trouvant pas de « place », décide de partir pour Brest. Elle ne veut pas jouer la Fanny laissant partir son Marius… Et cette Mimi Pinson de Saint-Nazaire décide de devenir la maîtresse d’Alain en se glissant illico dans son lit. « J’ai passé toute la nuit avec un garçon », déclare-t-elle en rentrant au domicile de son père adoptif, Doudou Leguen (Jean Martinelli), professeur de français en lycée technique.
Alain obtient finalement un emploi de caréniste, mais il ne tient pas longtemps le coup. Devant son échec, il tente une deuxième fois de se suicider, ce à quoi Doudou, qui a vu tant de « parents au rabais et de gosses cassés », met un terme, en lui conseillant de partir à Paris reprendre ses études d’ingénieur.
© Solaris
Le film a de grandes qualités documentaires. Henri Fabiani, très attaché à la condition ouvrière, filme avec empathie et minutie les hommes au travail dans le chantier naval. Aussi bien à travers de beaux plans d’ensemble, pour mettre en valeur le travail collectif, les entrées et sorties d’usine, que dans de gros plans bien cadrés sur leurs activités personnelles comme professionnelles. On est ainsi au plus près des travaux de carénage, de soudure… Le regard humaniste, voire idéaliste, de Fabiani l’incite à ne nous montrer que la bonté, la solidarité et la fraternité de ces hommes. Aucune place pour les méchants ni les tensions entre les travailleurs. Il n’est question ni de dieu, ni de diable, ni de maître, ni de syndicats, ni de partis politiques. Cela s’apparente à une gageure avec un tel sujet.
Si l’on est peu sensible, voire agacé, lors des scènes de roucoulement amoureux entre les deux tourtereaux, celles où s’exprime la complicité affectueuse et amicale entre Alain et José, entre Doudou, le prof, et José, l’ouvrier, intéressent en revanche davantage. Mais la séquence la plus forte du film est celle du bistrot et de sa tenancière Thérèse (merveilleuse Gina Manès), qui attend depuis trente ans son amoureux parti au Gabon – superbe moment où Crolla et Higelin jouent ensemble à la guitare devant les regards magnifiquement médusés des clients du bouge.
Henri Fabiani a choisi Henri Crolla, Enrico le Rital, pour tenir le rôle de José, l’Espagnol. Par amitié, car selon Fabiani « Crolla était l’amitié faite homme ». Henri Crolla, guitariste génial, compositeur éclectique, très connu comme accompagnateur de Mouloudji et d’Yves Montand, était depuis longtemps attiré par le cinéma. Il a d’ailleurs composé beaucoup de musiques de films – dont celle du Bonheur est pour demain avec Georges Delerue. Il faisait partie de la « contre-bande » des frères Prévert et avait déjà tourné dans le court métrage Enrico, le cuisinier de Pierre Prévert et Paul Grimault. Sa copine Simone Signoret l’avait encouragé à poursuivre. S’il n’est pas parfait dans le rôle de José, on pouvait espérer, tant sa présence à l’écran est forte, qu’il tienne de beaux rôles par la suite. Il devait malheureusement décéder à la fin du tournage, en octobre 1960.
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En 1959, Henri Crolla avait rencontré Jacques Higelin, qui se dirigeait vers une carrière d’acteur. Il l’avait déjà pris sous son aile protectrice et lui avait conseillé de chanter. On connaît la suite… Higelin est touchant dans le rôle d’Alain. Beaucoup plus qu’Irène Chabrier, à l’époque fiancée d’Higelin, et qui ne devait plus faire par la suite que de brèves apparitions à l’écran. Jean Martinelli, grand comédien de théâtre, célèbre entre autres pour avoir été la voix du télégénique Nounours dans Bonne nuit les petits, apporte avec sa belle présence grave et douce un supplément d’humanisme au film. Autre grande comédienne, Gina Manès, gloire et vamp du cinéma muet (Napoléon d’Abel Gance, 1927) et des débuts du parlant (Une belle garce, 1931). Ce film, où elle tient le rôle d’une tenancière accorte et truculente, devait être l’une de ses dernières prestations.
Le bonheur est pour demain n’a pas eu toutes ses chances lors de sa sortie en salles le 26 septembre 1962 – le même jour qu’un poids lourd du cinéma américain, Le jour le plus long. Et puis l’année 1962 ne devait pas être une bonne année pour le cinéma français – seuls ou presque Jules et Jim et Cléo de 5 à 7 devaient tirer leur épingle du jeu. En 1962, année de la fin de la guerre d’Algérie, les jeunes français se ruent en effet sur le petit écran de l’ORTF et les radios, où se déchaîne la vague yé-yé : les salles obscures sont désertées notamment par les adolescents au profit des concerts et des émissions Âge tendre et tête de bois et Salut les copains, où Johnny, Sylvie, Françoise, Sheila, et autres Chaussettes noires et Chats sauvages tiennent le devant de la scène. Donc difficile au Bonheur est pour demain de faire son nid en cet automne 1962 – par ailleurs électoral, en pleine campagne pour le référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel. Dommage, car c’est un film plein de candeur, de douceur et de tendresse, que l’on redécouvre aujourd’hui dans une version restaurée et comme une vraie curiosité. En espérant toujours que la vie finira bien par commencer…
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