L’explorateur en folie (Animal Crackers) - la critique du film

Notre avis : L’explorateur en folie est le seul film vraiment connu de Victor Heerman, et son avant-dernier ; après quoi il renoncera à la réalisation pour se consacrer à l’écriture de scénarios. En adaptant une revue des Marx, il ne faisait pas œuvre d’auteur, se contentant de garder la théâtralité et de laisser faire les frères cabotins dans leur destruction systématique de l’intrigue ; il faut dire que celle-ci est proche du néant, et n’a d’autre intérêt que de laisser place à des numéros musicaux et comiques. Soit donc une vague histoire de tableau volé au cours d’une réception en l’honneur de l’explorateur du titre (Groucho), bientôt rejoint par des musiciens (Chico et Harpo). Quant à l’hôtesse, c’est évidemment et heureusement l’immarcescible Margaret Dumont, souffre-douleur de choix et qui encaisse blagues et injures avec une distinction modèle. Tout le jeu consiste en variations autour de ces faux compliments et vraies vacheries ; dans ce domaine, Groucho est un maître, le goujat en chef au débit intarissable.

L’avantage de ce film est la modestie des chansons, qui alourdissent terriblement d’autres métrages des Marx, et certaines sont même prétextes à des gags plutôt réussis (voir en particulier l’arrivée de Groucho et le chœur l’obligeant à rester, puis lui coupant la parole). Pareillement la mièvrerie des jeunes premiers n’a qu’une place anecdotique : restent donc les numéros des frères, délirants, absurdes et que des séquences autonomes développent parfois longuement. Entre le comique verbal de Groucho que les sous-titres peinent à restituer, les grimaces de Harpo et les invraisemblables objets qu’il sort de son pardessus, les difficultés de compréhension de Chico, on a droit à de vrais morceaux d’anthologie, que « compensent » des moments quasiment poétiques, que ce soit le passage obligé au piano et à la harpe, ou cette fin délicieuse qui voit Harpo s’anesthésier lui-même parce qu’il n’arrive pas à réveiller une jolie blonde.
On s’amusera donc beaucoup à ces joutes verbales (mieux vaut cependant avoir des rudiments d’anglais, ne serait-ce que pour comprendre d’innombrables à-peu-près), l’inventivité des frères à partir de figures obligées paraissant sans limites. Mais le spectacle vient aussi du décalage entre les autres, sérieux voire imperturbables, et les frères aux corps élastiques ; et surtout, ce qui continue à fasciner, c’est leur irrespect total : ils débusquent derrière des apparences soignées les vanités et les turpitudes de ces grands bourgeois, dégommant sans cesse les fausses valeurs. Pas de filtres ici, on peut dire ou sous-entendre à peu près tout (quelques allusions grivoises ne leur font pas peur).

S’il n’est pas le top des films des Marx (La soupe au canard, par exemple, est bien supérieur), L’explorateur en folie appartient à leur meilleure veine, sans aération inutile, concentré sur la capacité de destruction et d’absurde des frères, ce qui fait de lui un délire largement recommandable.