Le 27 mai 2021
Une expérience de cinéma totalement spirituelle et philosophique qui convoque tous les sens du spectateur. Proprement envoûtant et d’une prodigieuse intelligence.
- Réalisateur : André Gil Mata
- Acteurs : Petar Fradelić, Filip Živanović, Sanja Vrzić
- Genre : Drame
- Nationalité : Portugais, Bosniaque
- Distributeur : ED Distribution
- Durée : 1h44mn
- Titre original : Drvo
- Date de sortie : 26 mai 2021
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Résumé : Au sein d’une obscurité qui rassure, où seuls les éclairs et le bruit des détonations témoignent de la présence lointaine d’une guerre, un vieil homme imperturbable traverse un paysage hivernal. Il porte sur ses épaules son « pilori » de bois, lui servant à transporter de l’eau. Sur son chemin, il aperçoit un enfant près d’un feu, sous un arbre, sur une berge ; sur une berge, sous un arbre, un enfant qui fuit la peur de la guerre rencontre un vieil homme. C’est sur ce tapis de neige, à l’abri de l’arbre, que les temporalités se croisent, que les souvenirs ressurgissent et que la peur est partagée, avec pour seul réconfort la chaleur humaine.
Critique : Deux pièces se font face. Celle où l’enfant dessine sur la fenêtre embuée par le vent glacial des formes géométriques, pendant que sa mère dresse la table, et celle où le vieillard dort, écrasé par la brutalité de la guerre qui balaie le ciel. La caméra engage un long travelling entre les deux endroits, dans un silence pesant, offrant aux spectateurs un décor qui semble emprunté à une toile claire obscure ou une scène de théâtre. La guerre ne s’exprime pas de front. Elle se fait entendre avec ces pétarades qui obstruent le ciel ou les rares déchirures de lumière et de feu. Dès les premières séquences du long-métrage, le réalisateur installe le spectateur à travers une temporalité suspendue, où les personnages prennent vie dans la lenteur et l’obscurité de ce monde, pendant que la bataille des hommes résonne au loin. Le montage refuse les coupures sèches. Au contraire, la caméra suit les corps, les regards, les gestes, dans la continuité de leur existence, alternant les passages de lumières avec des teintes sombres et bleutées.
- Copyright Ed Distribution
L’ARBRE (Drvo) est un film qui repose toute sa narration sur le mystère et le silence. On suit un homme qui erre d’une maison à l’autre et ramasse des sortes de gourdes de verre. Les rues sont désertes. L’humanité est absente de ces paysages tristes, écrits comme un décor de théâtre, où la froideur se heurte parfois à des soubresauts de lumière. Voilà un film qui se laisse regarder comme on le ferait d’une toile de Vermeer. Tous les sens du spectateur sont en éveil, qu’il s’agisse des bruits de guerre qui éclatent dans le loin, des odeurs de vie qui émanent de la fragilité du repli d’une rivière, et des jeux de lumière qui se découvrent au fur et à mesure de la narration. La force du film se dégage de la simplicité apparente de la narration, du temps que le réalisateur se donne pour accompagner les personnages dans la continuité de leurs existences. Il y a d’emblée une volonté affichée de jouer avec les nerfs du spectateur qui doit s’abandonner à la lenteur des gestes, la douceur des regards et l’ennui.
- Copyright Ed Distribution
La portée spirituelle du premier long-métrage d’André Gil Mata est indéniable. On assiste à un déploiement de beauté qui se déroule dans la lenteur assumée du propos. Regarder cet homme qui porte les fioles, prêtes à être remplies d’eau à travers les espaces atemporels de neige et de nuit, s’apparente à une expérience presque mystique. Il ne faut pas chercher à brusquer le temps, mais à saisir l’éclat des parois de verre les unes contre les autres, le bruit tiède des pas sur la neige, comme autant d’opportunités à entendre son propre battement de cœur de spectateur. L’ARBRE (Drvo raconte le cheminement d’un homme âgé à la croisée de celui d’un enfant. La matière noirâtre et poreuse qui les opposait dans la première scène les réconcilie dans une rencontre insoupçonnable, où chacun devra se résoudre à (sur)vivre. Le film est immensément beau. La meilleure des scènes demeure celle où l’on perçoit la barque de l’homme glisser sur l’eau, au milieu de percées lumineuses, avec en contre-fond, le son de sa poitrine qui lutte contre le froid et l’effort. Cette scène résume toutes les autres, dans le projet pour le réalisateur de faire du cinéma, une matière à s’émerveiller et à faire le silence en soi. Presque cinquante minutes séparent la marche de l’homme de la rencontre avec l’enfant qui cherche sa mère. Rarement, on aura vu un film qui affirme le refus de la narration et du dialogue comme un moteur cinématographique. Il y a dans ce creuset de lumières, de sonorités et de nuits la simplicité d’un conte réduit à sa plus pure abstraction.
- Copyright Ed Distribution
Voilà donc une création à ne surtout pas rater et à appréhender comme on le ferait d’une œuvre picturale ou d’un poème dont on pressent la force et la beauté, sans pour autant tout comprendre du rythme des mots et des couleurs. L’ARBRE (Drvo est un chef d’œuvre incontestable qui fera date dans l’histoire du cinéma européen.
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