Le 22 mars 2017
La découverte passionnante, dans des copies indiscutables, d’un comique oublié et pourtant fondateur.
- Réalisateur : Roscoe Fatty Arbuckle
- Acteurs : Buster Keaton, Roscoe "Fatty" Arbuckle
- Genre : Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Lobster
- Durée : 1h05mn
- Date de sortie : 6 avril 2016
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– Sortie DVD : le 28 mars 2017
– Années de production : 1917 et 1918
Résumé : "Fatty se déchaîne" est une série de trois courts-métrages burlesques, réalisés en 1917 par Roscoe « Fatty » Arbuckle, l’un des acteurs-réalisateurs du cinéma muet américain les plus populaires de son époque. Fatty garçon boucher : Fatty, garçon boucher, est amoureux d’Amanda, la fille du patron. Mais il a un rival, Slim, le chef de rayon. Quand Amanda est envoyée en pension, Fatty et Slim ont la même idée : ils se déguisent en jeunes filles pour pénétrer dans la forteresse… Fatty à la clinique : Lassée d’avoir un mari alcoolique et suite à une annonce publicitaire dans un journal, la femme de Fatty traîne ce dernier dans une clinique pour s’y faire soigner afin qu’il soit définitivement débarrassé du démon de la boisson… Love : Fatty et Al Clove se rendent chez leur voisin fermier. Fatty est follement amoureux de Winnie, sa fille, et Al est porteur d’un message de son père qui propose au fermier de le marier à sa fille en échange de la moitié de ses terres. Le fermier n’hésite pas une seconde…
Notre avis : Fatty Arbuckle est aujourd’hui davantage connu (s’il l’est encore) par le scandale qui a ruiné sa carrière que par sa carrière elle-même ; il n’a pas la notoriété d’un Chaplin ou d’un Keaton, peut-être en partie à cause de la quasi-absence de long-métrage dans sa filmographie. Pourtant, s’il n’a ni la rigueur de l’un, ni la sensibilité de l’autre, il fut une star, l’une des premières de l’époque muette. Reste que ses films sont peu accessibles, pour une part détruits, et la trace qu’il laisse dans la mémoire des cinéphiles est on ne peut plus mince. D’où l’intérêt majeur de ce DVD qui donne à voir trois exemples de ce qui fit hurler de rire nos aïeux, et qui présente une inestimable valeur historique, voire archéologique ; car c’est bien d’un temps très ancien que nous proviennent ces bandes, au point qu’on a du mal à imaginer leur extrême popularité.
- Copyright Tamasa Distribution
Disons-le, on éclate rarement de rire : les gags sont souvent éventés, les chutes, poursuites, batailles de polochon ont vieilli et les minauderies des actrices principales agacent plus qu’elles ne séduisent. Et pourtant, très vite, on se prend au jeu, on « marche » : ce personnage de Fatty, obèse et poupin, violent et gracieux, ne cesse de fasciner. Qu’il se travestisse (et il le fait dans chacun des trois films, mais, comme le précise Serge Bromberg dans les bonus, c’était à l’époque monnaie courante) et l’ambiguïté du comédien devient patente ; on sent un vif plaisir à jouer, presque à la manière d’un enfant, à faire comme si, au mépris de toute vraisemblance et même de toute logique.
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Son apport indiscutable au burlesque se manifeste aussi dans ce qu’on pourrait appeler l’épuisement : épuisement d’une idée, d’un lieu, d’une situation, il s’agit toujours de pousser à sa limite extrême un filon, et, de préférence, d’un faire un saccage en règle ; témoins l’épicerie, le pensionnat (Fatty Boucher), le puits (Fatty amoureux), ou le simple fait d’allumer une cigarette sous la pluie (Fatty à la clinique) : à chaque fois un même ressort est répété avec des variantes infinies, souvent en un crescendo destructeur. L’hyperbole règne, du physique de l’acteur aux moindres conditions climatiques, elle fonde même les gags qui ne cessent de parasiter une intrigue très mince, au point évidemment qu’elle disparaît (voir les conclusions très hâtives). Ce jeu de quilles massif a quelque chose de jouissif, de transgressif, peut-être d’amoral. Car la société que présente Arbuckle est gouvernée par l’argent (la femme vénale de la clinique, le mariage arrangé), elle est violente, à la limite du sadisme (qu’on pense au clou ajouté à un balai dans une bataille) ; elle est surtout le lieu des affrontements, de la domination, du combat permanent ; s’il y a dans ces films très peu de moments de répit, c’est que l’agression y est perpétuelle. En ce sens la répétition accentue encore l’impression d’acharnement (du sort, du monde, de l’autre …).
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Datés de 1917 et 1918 (un siècle !), ces courts-métrages montrent déjà une syntaxe filmique très classique dans son alternance de plans généraux et de gros plans, mais Fatty prend quelques libertés avec ce qui deviendra la règle quelques années plus tard : clin d’œil au spectateur ou étoiles visibles après une perte de connaissance, ces détails relèvent d’une liberté que le burlesque a su ériger en principe, puisque au fond tout est permis.
On l’a dit, le spectateur du vingt-et-unième siècle ne rira pas franchement aux gags de ces films ; pourtant il serait injuste de les réserver aux historiens du cinéma qui, certes, s’en régaleront, tant on a la possibilité de découvrir un monde (et pas seulement un art) à jamais aboli, une société reflet de la nôtre mais sans filtre de bienséance, et, in fine, la jouissance de l’enfant destructeur qui sommeille en chacun de nous.
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Les suppléments :
Serge Bromberg fait un point historique et esthétique sur Arbuckle et son cinéma ; c’est à son habitude intéressant et enthousiaste, même si les extraits sont un peu longs (Énorme !, 17 minutes). L’entretien avec la musicienne Airelle Besson prodigue le même enthousiasme et éclaire intelligemment la bande-son du DVD (Musique !, 13 minutes).
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L’image :
Inespéré ! Pour des bandes aussi vieilles, la stabilité est remarquable, la lisibilité toujours probante. Des parasites mineurs, quelques sauts d’images, certains intérieurs un peu gris, bref des bagatelles au regard de l’intérêt des films.
Le son :
Évidemment contemporaine, la musique sonne avec une belle ampleur et un niveau de précision très satisfaisant. Le choix d’ajouter (ou de remplacer par) des « boniments » (en fait surtout des lectures des intertitres) est une curiosité plus qu’un atout fondamental.
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