Le 16 avril 2019
Un documentaire précieux sur la non-scolarisation, à travers différents témoignages. Mais la démarche apologétique met à distance une réflexion plus critique sur ce choix éducatif non conventionnel.
- Réalisateur : Clara Bellar
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pourquoi Pas Productions
- Date de sortie : 28 mai 2014
- Plus d'informations : Le site officiel
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Résumé : "Être et devenir" propose, pour la première fois sur grand écran, des récits d’expériences et des rencontres qui explorent le choix de ne pas scolariser ses enfants, de leur faire confiance et de les laisser apprendre librement ce qui les passionne. Le chemin de découverte de la réalisatrice nous emmène à travers quatre pays, les Etats-Unis, l’Allemagne (où il est illégal de ne pas aller l’école), la France et l’Angleterre. Ce film est une quête de vérité sur le désir inné d’apprendre.
Notre avis : En France, environ 30 000 enfants de 6 à 16 ans (soit 0,3 % des jeunes en âge d’aller à l’école) ne se rendent pas tous les matins dans un établissement scolaire. Pour certaines familles, l’instruction en famille est un choix par défaut (maladie, handicap), pour d’autres, une décision mûrement réfléchie et assumée. C’est à ces derniers que s’intéresse le passionnant documentaire de l’actrice Clara Bellar. Le film débute par le bonheur d’une maternité, celle de la réalisatrice, en 2008. L’enfant qui paraît provoque un questionnement sur la manière dont il va grandir dans la société. Cette réflexion en appelle une autre, qui concerne son éducation par la communauté, dont on sait qu’elle emprunte, pour une large part, la voie de la scolarisation. Le motif irrigue ce film qui a été tourné sur trois ans.
On sait que l’idée même d’éducation des enfants se confond, dans une majorité de pays, avec le concept d’école. La République française permet pourtant, à travers les libertés qu’elle offre, de ne pas faire ce choix. Contrairement à ce que croient un certain nombre de gens, ce n’est pas la scolarité qui est obligatoire dans notre pays, mais l’instruction. Clara Bellar l’avouera elle-même dans un entretien : « Je ne savais même pas, étant française, qu’on pouvait ne pas aller à l’école ».
En même temps, on n’ignore pas que le discours républicain défend unanimement l’institution scolaire et peu de réflexions pédagogiques, y compris les plus alternatives, envisagent, pour reprendre une terminologie Éducation nationale, l’acquisition des savoirs et des savoir-faire hors de cette structure institutionnelle. En vérité, l’apprentissage autonome, que Rousseau défendait déjà au dix-huitième siècle, fait l’objet d’un tas d’à priori : une mère qui témoigne dans le film constate, d’une manière radicale, que « le regard porté sur le choix d’une non-scolarisation évoque le regard porté sur les homosexuels, il y a encore quarante ans ».
Le but du documentaire est justement de rendre moins étrange ce qui semble, aux yeux de beaucoup, complètement insolite voire illicite, en dépit de ce que l’on sait sur le système éducatif. Une seule donnée tout à fait factuelle suffit à étayer le propos, relative au pays que nous connaissons le mieux : l’histoire de l’école française est très récente (les lois Jules Ferry n’ont même pas deux siècles).
A travers les discours des différents intervenants sollicités par la réalisatrice, plusieurs critiques émergent : dans une tradition de pensée libertaire, qu’on peut aussi rapprocher de la sociologie bourdieusienne, l’école est stigmatisée pour son caractère coercitif, parce qu’elle postule des savoirs essentiels à acquérir (en disqualifiant d’autres savoirs) et des méthodes pour y arriver - en creux, s’immisce l’idée que la pédagogie est une ruse pour emmener l’enfant là où on veut qu’il aille (l’auteur de L’Emile en parlait déjà à son époque)-. Le jugement stigmatise également les activités qui sont imposées aux enfants et aux adolescents, vitupère une organisation du temps scolaire qui ne s’accorde pas à la manière dont fonctionnent les désirs individuels (une mère constate que si l’envie d’un jeune est de se consacrer à une activité qu’il adore pendant des heures, un emploi du temps classique ne va pas lui en laisser la possibilité, parce qu’au bout d’une séquence de 50/55 minutes, on change de matière). Enfin, les reproches des différents intervenants concernent les paliers d’apprentissage qui ne correspondent pas à l’évolution de chaque enfant : ainsi, une mère anglaise témoigne que sa fille savait lire à huit ans, mais que son fils, Aaron, n’a maîtrisé cette compétence qu’à l’âge de douze ans. Un jour, elle l’a trouvé un ouvrage entre les mains et elle lui a dit : « C’est chouette, qu’est-ce que tu lis là ? » Depuis, l’enfant devenu un jeune adulte a écrit une pièce de théâtre. Si les paliers d’apprentissage s’alignent sur les stades de développement de l’enfant théorisés par Piaget, Ils ne résistent pas aux manifestations singulières de l’expérience humaine..
Quoi qu’il en soit, les reproches que relaie le film rejoignent les propos tenus en son temps par Ivan Illich qui dénoncait, dans Une société sans école, la confiscation institutionnelle de la question éducative, sauf qu’Illich assignait à son réquisitoire une dimension plus politique, voyant derrière la préséance de l’institution scolaire la volonté d’un capitalisme sauvage de marchandiser jusqu’à la notion même de savoir. Dans le documentaire de Bellar, les thuriféraires de la déscolarisation n’ont aucun discours politique en ligne de mire, ils racontent d’abord des vies émancipées, souvent proches de la nature, dans une orthodoxie rousseauiste.
Les détracteurs de ce que les anglo-saxons nomment le non schooling ne pourront pas faire grief aux parents d’une réappropriation exclusive de l’éducation, dans la mesure où tous les enfants que l’on voit ne demeurent pas dans le giron de leurs géniteurs, sont inscrits dans des ateliers, des associations qui leur proposent des activités, en fonction de ce qui leur plaît. En revanche - et on le savait-, le profil sociologique des familles qui ont opté pour ce choix est plutôt homogène -pas de pauvres-, parce qu’il faut avoir évidemment les moyens - dans tous les sens du terme- de soustraire son fils ou sa fille de la férule des maîtres, de l’arracher à l’ennui d’une classe, pour lui faire vivre une symbolique fusion entre la nature et sa nature. Des parents américains ont sauté le pas, en aménageant une sorte de chalet à proximité d’une forêt. Le petit enfant y effectuera ses premiers pas, crapahutera, couvé par le tendre adage d’une mère : « Faire confiance et attendre ».
Le documentaire renonce-t-il totalement à un ethos scolaire ? L’empressement de la réalisatrice à vérifier l’efficacité de cette éducation sans école s’accommode d’une logique de la performance, alors que s’il s’agit de réaliser une sorte d’idéal libertaire éducatif, la question d’une réussite quantifiable ne pesant rien, au regard d’une totale émancipation individuelle : d’où le fait que le documentaire ne montre que des enfants toujours créatifs, productifs, occupés, volontiers artistes, selon le paradigme de la précocité : le petit Mozart qui maîtrise le piano avant les autres, la petite fille brésilienne qui joue de la batterie de manière quasi impeccable à cinq ans-. valident la reproduction d’un habitus de classe, puisqu’on sait que ces familles qui ont fait le choix de la déscolarisation sont majoritairement à fort capital culturel. Dans toutes ces existences, la musique, la littérature et le dessin apparaissent comme des pratiques distinctives, dont la connaissance s’avère un atout transférable sur le marché de l’insertion sociale et les parents le savent. Lorsqu’une mère prend son enfant sur ses genoux, tandis que son amie joue du piano, elle prodigue un geste affectueux, mais définit aussi le cadre d’un conditionnement, dont on sait qu’il fonctionne souvent par capillarité. On aurait aimé que cette aporie, reliée à une véritable prégnance des structures sociales, fasse l’objet d’une réflexion, éclairée par les apports de la pensée bourdieusienne.
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