Enseignez à vivre ! - la critique du film

Notre avis : Ce n’est pas qu’on trouve Edgar Morin inintéressant. Au contraire, son avis sur l’éducation se situe dans le sillage de la pensée rousseauiste, qui fonde la réflexion pédagogique, et auquel le titre de ce documentaire emprunte une formule, extraite de L’Emile. Mais le célèbre sociologue et philosophe paraît une figure bien trop tutélaire pour ce film qui parle d’émancipation, comme si, malgré lui, il gênait le postulat -en creux- de cette œuvre : un individu véritablement libre est un individu qui se construit, avant tout, par lui-même. Or, dans quelques séquences (pas si nombreuses, heureusement), élèves et professeurs écoutent religieusement les bons préceptes de l’intellectuel, qui prodigue, par exemple, des leçons attendues sur les vertus des bibliothèques, tandis que des plans de coupe traditionnels saisissent les jeunes auditeurs : ceux-ci ne piperont mot, sans doute parce que la mention d’un Héraclite a pour terrible effet d’intimider ceux qui ne l’ont pas lu. Ce n’est évidemment pas l’intention du philosophe, mais c’est l’effet produit sur les destinataires, dont les postures traduisent un certain malaise propre aux publics captifs. On peut imaginer ce qu’en aurait dit Pierre Bourdieu, qui ne fut pas toujours très tendre avec son confrère sociologue.

En fait, on préfère quand Morin distille seul, face caméra, les jugements que lui inspire notre enseignement cloisonné, fractionné en matières, ou lorsqu’il évoque le désir comme moteur de l’acte d’apprendre. C’est un peu général (des coupures au montage ?), mais les propos encadrent très bien les différentes expériences de pédagogies alternatives, qui ne sont pas les seules illustrations des réflexions de Morin, dans la mesure où elles sont irriguées par les grands principes de l’Education Nouvelle, ce que démontrent les méthodes d’une école Decroly, du Lycée autogéré de Paris ou d’un micro-lycée de banlieue. Tous sont animés par le même objectif : partir de l’enfant ou de l’adolescent, pleinement envisagé en tant qu’individu et non en tant que simple élève. A l’heure où les attaques contre le "pédagogisme" se multiplient, ces expériences trop rares attestent que l’école peut être envisagé comme un lieu de vie, où chacun se construit en confiance, au milieu des adultes.
Les témoignages de jeunes en décrochage prouvent que l’enseignement traditionnel laisse dans le fossé quantité d’élèves qui ne se plient pas à ses règles. Il n’est pas vraiment inutile que le film le rappelle. Maintenant, il n’est pas non plus vain d’objecter qu’une existence ne s’"enseigne" pas.