Le 31 octobre 2014
Un puissant documentaire suédois sur les aspects dévastateurs de la décolonisation en Afrique dans les années 1960-1980. À partir d’extraits du manifeste Les damnés de la terre de Frantz Fanon et d’images d’archives suédoises.
- Réalisateur : Gorän Hugo Ollson
- Genre : Documentaire
- Durée : 1h15min
- Date de sortie : 26 novembre 2014
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Un puissant documentaire suédois sur les aspects dévastateurs de la décolonisation en Afrique dans les années 1960-1980. À partir d’extraits du manifeste Les damnés de la terre de Frantz Fanon et d’images d’archives suédoises
L’argument : "Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence" - Franz Fanon, Les Damnés de la Terre,1961.
Au travers des textes de Fanon, Concerning Violence met en image des archives et plusieurs entretiens, retraçant ainsi l’histoire des peuples africains et de leurs luttes pour la liberté et l’indépendance.
La modernité du parti pris esthétique de Concerning Violence offre au public une nouvelle analyse des mécanismes du colonialisme, permettant ainsi une autre lecture des origines des conflits actuels.
©Story AB
Notre avis : C’est en découvrant le texte de Frantz Fanon Les damnés de la terre que le documentariste suédois Gorän Hugo Ollson trouva le sujet de Concerning Violence, 9 scènes de l’autodéfense anti-impérialiste. L’essai de Frantz Fanon, écrit en 1961, eut une certaine audience à l’époque – d’autant plus qu’il avait été préfacé par Jean-Paul Sartre, qui y voyait une apologie de la violence. Fanon, en tant que psychiatre, avait préféré, lui, mettre en lumière les mécanismes de la violence générée par la colonisation, tout en expliquant le passage obligé par la violence pour les peuples colonisés, afin de retrouver leur indépendance dans la dignité.
On comprend fort bien pourquoi le cinéaste suédois Gorän Hugo Ollson a été séduit par le texte de Fanon, lui qui a consacré un documentaire aux Blacks Panthers en 2011, intitulé The Black Power Mixtape.Encore lui fallait-il trouver des images et des sons pouvant s’entremêler à des extraits du texte des Damnés de la terre ! Une des réussites de cet essai filmique qu’est Concerning Violence est d’avoir su conjuguer ces trois langages – oral, écrit, image –, en ne donnant jamais aux images un statut illustratif.
Le réalisateur conçut très vite que seules des images d’archives pouvaient donner une « dimension plus universelle au film ». Et ce d’autant plus qu’il était facile de trouver dans ces images un écho aux événements et conflits actuels. Les images ainsi recueillies et sélectionnées par le documentariste sont d’une extraordinaire richesse et proviennent toutes de la télévision suédoise. En pleine guerre froide, la Suède se sentait concernée par les luttes anti-impérialistes et socialistes qui pouvaient naitre à travers le monde (et notamment en Afrique) ; le gouvernement et la télévision publique avaient alors décidé de couvrir ces évènements d’un point de vue suédois, pour les Suédois, sans recourir à des images d’information provenant des USA, d’URSS ou de France.
Quant au commentaire, Gorän Hugo Ollson a fait appel à la lumineuse Lauryn Hills, icône du rap, de la musique soul et du reggae, qui venait également de lire l’essai de Fanon. La chanteuse engagée dit les extraits des Damnés de la terre avec une formidable conviction.
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Concerning Violence, tout en n’étant pas une adaptation de l’essai de Fanon, reprend la structure du livre avec une préface et son découpage en neuf chapitres. Le film ouvre sur un entretien de la théoricienne et critique littéraire d’origine indienne Gayatri Chakravorty Spivak. Cet entretien filmé se veut un regard neuf, et différent de celui de Sartre, dans la mesure où sa perspective est clairement féministe et permet de faire le pont entre les écrits de Fanon et le présent. La première séquence donne tout de suite le ton du documentaire-essai avec des images de soldats portugais tirant avec des mitraillettes sur des vaches depuis un hélicoptère. Ces images d’une grande force cinématographique, brutales et saisissantes, nous font penser à des images souvent vues de la guerre du Vietnam – et bien sûr à Apocalypse Now : elles apparaissent ici comme la métaphore même de la violence. On est ensuite plongé dans un tourbillon d’images d’archives, sortes de documents bruts sur les conflits armés et les guérilleros marchant à travers la jungle. On retrouve ainsi des militants du MPLA en Angola ou du groupuscule Frelimo en Mozambique, mais aussi les mineurs grévistes du Libéria et les combattants pour l’indépendance en Tanzanie… Parfois la caméra multiplie les gros plans des victimes en se concentrant sur leurs regards qui expriment terribles souffrances et forte colère. L’une de ces images est particulièrement terrifiante : on y voit une jeune femme hagarde, mutilée d’un bras, et allaitant un enfant amputé d’une jambe…
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Des interviews émaillent ici et là Concerning Violence. On retrouve ainsi en Rhodésie un couple de Britanniques, chrétiens affirmés, éberlués et effrayés parce que des « négros » et autres « métèques terroristes » veulent prendre « la place des Blancs ». On entend António de Spínola, l’homme au célèbre monocle, alors gouverneur militaire portugais en Guinée-Bissau, déclarer que la population africaine souhaitait rester sous la domination portugaise parce que, comme disait son maître de l’époque, le dictateur Salazar : « L’Afrique n’existe pas sans l’Europe. » Le même Spínola qui devint le premier président de la République portugaise, après la révolution des œillets d’avril 1975… Sans doute plus marquant encore est le témoignage de Thomas Sankara, officier révolutionnaire du Burkina Faso (« le pays des hommes intègres »), disant sa forte conviction de devoir parler au « cœur du peuple » en lui faisant comprendre qu’il ne devait pas se résoudre à une « mentalité d’assisté ». Ce leader charismatique, anti-impérialiste, qui était un véritable espoir pour son pays et pour toute l’Afrique, devait être assassiné lors d’un coup d’État sans doute fomenté, selon le documentaire, par son compagnon d’armes Blaise Compaoré, avec l’aide de la CIA et de la France.
Concerning Violence est un film sincère et puissant. On pourrait reprocher à Gorän Hugo Ollson d’avoir manqué de distance et d’avoir beaucoup joué sur les chocs et les émotions. Ce serait oublier que le cinéaste n’a pas voulu faire un travail d’historien, mais bien de militant engagé qui veut nous « réveiller ». Le film semble avoir été reçu de cette façon dans les festivals de cinéma où il a été présenté, applaudi et primé, comme à la Berlinale 2014. L’objectif du réalisateur est de nous inviter à réfléchir au fait que l’actualité fait écho à des évènements qu’on a trop tendance à reléguer dans les oubliettes du passé. Et qu’à l’évidence la décolonisation demeure un processus inachevé.
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