L’Ornithologue - la critique du film

Critique : João Pedro Rodrigues est l’auteur de films singuliers et troubles dont les désormais cultes O Fantasma et Odete. Ce dernier opus, librement inspiré de la vie de Saint Antoine de Padoue, n’échappe pas à la règle et s’inscrit dans son univers qui combine style personnel et influences manifestes, du Buñuel surréaliste d’Un Chien andalou au style contemplatif et onirique d’Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee...), en passant par les allégories mystiques de Pasolini (Théorème) ou Naomi Kawase (Hanezu). Si l’on ajoute des correspondances manifestes avec son compatriote Miguel Gomes (Tabou), le David Cronenberg de Faux semblants, le John Boorman de Délivrance ou le récent L’Étreinte du serpent, on serait tenté de penser que la valeur ajoutée de Rodrigues est faible et l’on aurait tort, tant la puissance des images et la complexité d’un scénario à multiples sens nous subjugue.

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Car L’Ornithologue défie toutes les attentes, et déroule une narration en trompe-l’œil, la fiction en apparence écolo sur la passion d’un ornithologue dérivant un temps vers le film d’aventures puis le conte érotique, avant d’affronter le fantastique et la parabole religieuse avec un sens aigu des ruptures de ton. Sur sa route, Fernando croisera deux bigotes chinoises cherchant le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, un jeune berger sourd et muet, le frère de ce dernier, adepte de rites païens, et d’autres personnages plus ou moins fantasmés, dont un pèlerin qui pourrait bien être le double de lui-même... Ce qu’il y a de fascinant dans L’Ornithologue, c’est la capacité du cinéaste à concilier religiosité et dérision manifeste pour le religieux, réalisme et fantastique, premier et second degré, le tout par des plans à la fois séduisants et cauchemardesques, sans tomber dans l’ennui ou l’esbroufe d’un certain cinéma contemporain.

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« J’ai finalement lu, appris, fouillé la vie de Saint Antoine […] Plus je le connaissais, plus il me semblait mystérieux et fascinant. J’ai donc eu envie à la fois de m’amuser, de réhabiliter certaines beautés et d’égratigner son image lisse. Il fut en effet érigé en symbole de la famille et du mariage pendant la dictature de Salazar et cette image, construite de toutes pièces, lui colle à la peau. Le culte qui entoure encore sa figure et les festivités du 13 juin, jour de l’anniversaire de sa mort […] restent encore teintes de ce voile symbolique passé. Le film est dès lors une réappropriation transgressive […] de la vie du Saint. Si certains passages de l’homélie prononcée en 1222 sont repris, ainsi que certains épisodes, la part d’imaginaire a pris du terrain au fil de l’écriture. C’est un esprit, une trajectoire qu’il insuffle au film et qui mène Fernando à sa nouvelle identité », a déclaré le cinéaste dans ses notes d’intention. Le résultat est la hauteur des attentes des fans du réalisateur, bien aidé par son directeur de la photo João Rui Guerra da Mata et par le jeu de l’acteur français Paul Hamy (Elle s’en va), qui incarne avec force « cet obscur objet du désir » et de la crainte, pris dans un engrenage qui le dépasse.