Sur la route de Washington
Le 11 janvier 2012
À trop hésiter entre biopic, mélo et film politique, l’épopée de Clint Eastwood sur le légendaire et controversé fondateur du FBI emprunte des voies multiples... et finit par nous égarer, aussi bien que s’égarer elle-même.
- Réalisateur : Clint Eastwood
- Acteurs : Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Armie Hammer, Josh Hamilton, Geoff Pierson
- Genre : Biopic, Historique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France
- Durée : 2h15mn
- Date télé : 21 novembre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Titre original : J Edgar
- Date de sortie : 11 janvier 2012
Résumé : Le film explore la vie publique et privée de l’une des figures les plus puissantes, les plus controversées et les plus énigmatiques du XXe siècle, J. Edgar Hoover. Incarnation du maintien de la loi en Amérique pendant près de cinquante ans, J. Edgar Hoover était à la fois craint et admiré, honni et révéré. Mais, derrière les portes fermées, il cachait des secrets qui auraient pu ruiner son image, sa carrière et sa vie.
Critique : L’image qui surgit immédiatement à l’esprit à la vision de J. Edgar est celle d’un monstre. Un monstre historique, sacré, célébré à un point tel qu’on le croyait intouchable ; et voilà qu’un cinéaste ose le citer, au détour d’un détail aussi anodin qu’une prothèse de maquillage. Ce monstre, c’est le personnage de Charles Foster Kane dans Citizen Kane, fondu dans les chairs déformées d’un Orson Welles de vingt-cinq ans qui s’amuse à s’en donner soixante-cinq. J. Edgar part d’une ambition et d’une interrogation similaires à celles en œuvre dans le film de Welles (une image ou un mot sont-ils suffisants pour fixer la vie d’un homme ?), et parvient à une réponse parallèle : tout est question de jeux de regards – regards troubles, partiels, qui génèrent leurs propres souvenirs écrans et activent la grande machine de l’oubli pour mieux réécrire l’Histoire. Cette question du point de vue est sans doute la ligne de force la plus aboutie du film de Clint Eastwood, faisant poindre une réflexion non dénuée d’intérêt, notamment sur la question de la frontière entre vérité historique et révisionnismes de tous bords. Pourtant, cette piste reste à l’état de filigrane, en transparence derrière le bloc massif du récit principal : un biopic reste un biopic, et la construction parallèle entre passé et présent ne fait que souligner le caractère extrêmement classique – et lourd – de la structure.
Car J. Edgar est d’un sérieux mortel, et le réaffirme avec force à chaque plan, jusqu’à l’épuisement. Des années de formation à l’auto-aveuglement, en passant par l’explication psycho-analytico-sexuelle, le film met en place tous les rouages de la machine dont, d’un coup de génie cinématographique, Citizen Kane avait démontré l’inutilité. Au centre de toute cette pompe rituelle, l’acteur roi, Leonardo DiCaprio, qui délivre une méchante et outrancière application de l’Actor’s studio. Musique, maquillage, reconstitutions historiques : le grand spectacle d’Eastwood cherche trop le « goût du vrai » pour réussir à nous y faire réellement adhérer (et on se prend à rêver d’un film autrement habité par la même période historique, Public enemies de Michael Mann). Le cinéaste nous avait promis les coulisses du pouvoir, et ne restent que les ficelles cassées de ses marionnettes. Les scènes les plus réussies de J. Edgar sont celles qui apportent involontairement un parfum d’inquiétante étrangeté au film ; des scènes de pur mélodrame entre J. Edgar Hoover, l’homosexuel refoulé, et son partenaire, comparse et amant rêvé, Clyde Tolson. Le prétendant transi est incarné par Armie Hammer (le jumeau double de The Social Network, décidément abonné aux transformations physiques), qui joue la sidération avec une sobriété désarmante. C’est encore dans l’atmosphère feutrée du foyer et avec le fumet du café au petit matin que Clint Eastwood est le plus à l’aise ; la grâce mineure de Sur la route de Madison contre la grandiloquence mièvre de ses derniers opus. À chacun de choisir sa voi(e)x.
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Frédéric de Vençay 3 mars 2012
J. Edgar - la critique
Eastwood s’interroge moins sur l’Histoire que sur la manière dont l’écrivent (et la réécrivent) les hommes de pouvoir. Après "Mémoires de nos pères" et "Invictus", le cinéaste parvient enfin à donner à son sujet l’ampleur et la profondeur qu’il requerrait, par le biais d’un twist final parfaitement négocié. Ce retournement vient un peu réveiller un biopic en pilotage automatique, lesté des artifices canoniques du genre (voix-off pesante, construction en allers-retours, performance "Actor’s Studio" appliquée...). Le classicisme eastwoodien, sobre et élégant, et le jeu enfiévré de DiCaprio restent corrects, même si on les a connu meilleurs tous les deux.