Vacances romaines - William Wyler - critique

Critique : Imaginez, ô horreur, que la princesse Anne ait été incarnée par Liz Taylor ou Jean Simmons comme les producteurs l’avaient envisagé. Que resterait-il de Vacances romaines aujourd’hui, je vous le demande ? Mais ce film, cette histoire de Cendrillon à rebours, est un conte de fée de bout en bout. La baguette magique est au rendez-vous, provoquant le premier miracle duquel découlent tous les autres, celui des essais d’Audrey Hepburn, une presque inconnue [1], qui décroche la timbale en séduisant Wyler par son ingénuité, son humour, son sourire à damner tous les saints, et mène l’entreprise au triomphe que l’on sait : un Oscar de la Meilleure actrice, un film d’une longévité à toute épreuve, peut-être (osons les superlatifs) la meilleure comédie romantique de tous les temps.
La raison de ce triomphe ? On est bien loin des sucreries et nunucheries du genre. Le script est fort, il ose la unhappy end, le berger n’épousera pas la princesse. Étonnant de la part de Hollywood, me direz-vous. Mais quand on connaît le nom du scénariste, on comprend mieux. Au générique, en 1952, figure un certain Ian McLellan Hunter. Un tour de passe-passe. Le susnommé n’a pas écrit un traître mot de l’histoire. Il s’agit d’un prête-nom pour le talentueux et corrosif Dalton Trumbo, alors interdit de travail parce que blacklisté par la commission McCarthy. Ironie du sort, le scénario lui aussi remportera un Oscar ! [2].

Vacances romaines, film né sous d’heureux auspices, est une conjugaison de talents qui se complètent remarquablement. Gregory Peck y démontre une fois de plus qu’il est un très grand comédien. Eddie Albert est sensationnel dans son second rôle de photographe de presse. Les dialogues pétillent d’intelligence. Rome est filmée sous ses plus belles coutures dans un noir et blanc somptueux. Wyler est transporté par un sujet qui ne fait pas particulièrement partie de sa gamme (ce qui confirme au passage sa boutade : "Un bon film, c’est à 80% un bon script et à 20% de grands acteurs. Rien d’autre."). Les anecdotes fourmillent sur le plaisir qu’a été le tournage. Au contraire de ce qui se faisait à l’époque, comme entraîné par le néo-réalisme italien alors à son apogée, le réalisateur américain tourne entièrement en décors naturels, la foule romaine est là, les badauds donnent leur avis... Ah, quel régal ce serait de pouvoir visionner aujourd’hui un making of... Reste le film, et c’est le principal. Une histoire douce-amère pleine de mensonges, de délicatesse, d’amertume, d’élégance, d’espièglerie et de grâce.