Le 16 août 2015
Sirk met en scène avec une précision impériale un drame magnifique et émouvant. Inédit en France, donc strictement indispensable.
- Réalisateur : Douglas Sirk
- Acteurs : Claudette Colbert, Ann Blyth, Robert Douglas, Anne Crawford, Philip Friend
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Elephant Films
- Durée : 1h24mn
- Titre original : Thunder on the hill
- Date de sortie : 16 juin 1953
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– Année de production : 1951
– Sortie Blu-ray et DVD : le 1 septembre 2015
Sirk met en scène avec une précision impériale un drame magnifique et émouvant. Inédit en France, donc strictement indispensable.
L’argument : Condamnée à mort pour le meurtre de son frère, Valerie Carns, est escortée à Northwich pour y être exécutée. Mais une inondation force ses gardes à s’abriter dans un couvent en haut d’une colline, où tout un village trouve refuge pendant les intempéries. Dans ce lieu hors du temps protégé des drames du monde extérieur, la sœur infirmière Mary se persuade de l’innocence de la jeune femme et entreprend de la sauver.
Notre avis : Encore un miracle du DVD et du Blu-ray : voici un Sirk inédit, sorti en 1951, c’est à dire avant les grands mélodrames des années cinquante, comme une esquisse de ses « magnifiques obsessions », et qui, sur un sujet théâtral et bavard, fait preuve d’une maîtrise et d’une intelligence filmique royales. Le sujet, donc : une jeune fille accusée à tort, une nonne empathique, deux histoires d’amour, le tout quasiment en vase clos dans un monastère. À quoi il faut ajouter une galerie de personnages secondaires croqués à l’économie (voir les gestes en arrière-plan de la gardienne, par exemple), qui amplifient ou allègent (la cuisinière, ses maximes et ses journaux) le drame. Mais déjà, avec ces éléments, Sirk compose une réalité plus complexe qu’il n’y paraît : la gardienne, bien que douée de compassion, n’hésite pas à dénoncer la religieuse ; les journaux passent du statut de gag à celui de preuve. Quant au médecin, il incarne à lui seul l’ambiguïté humaine, sauvant un bébé mais martyrisant sa femme, un peu comme dans Hantise de Cukor.
« Nos amis les vraisemblants », comme disait Hitchcock, en seront pour leurs frais : ce qui intéresse Sirk, c’est bien de créer un monde à la mesure de sa vision ; à la manière de Sir Alfred, de Lang ou du Powell du Narcisse noir, auquel on pense évidemment, il fait du couvent un lieu improbable qui représente le paysage mental des personnages. Couloirs labyrinthiques, ogives gothiques, miroirs et fenêtres composent un univers gagné par l’ombre et sans cesse arpenté dont les salles multiples donnent l’occasion à Sirk de varier les ambiances, du cauchemar à la blancheur clinique. Mais ce déluge de décors et de travail lumineux (Claudette Colbert a presque toujours le visage éclairé, et apparaît parfois vêtue de blanc, contre toute vraisemblance) n’a rien de gratuit : il permet de visualiser les tourments qu’endurent les personnages. Car, au fond, ce qui intéresse le cinéaste, c’est toujours l’âme humaine. Si Sœur Mary marche beaucoup, c’est que son chemin spirituel, cette rédemption à peine chrétienne, ne peut que passer par la brume et son flou, par des pièces obscures, pour atteindre l’élévation ( le clocher) et la paix.
Ce qui frappe, aujourd’hui sans doute plus qu’hier, à notre époque de sarcasme, c’est l’extraordinaire sincérité de Sirk ; nul second degré, nulle moquerie dans cet itinéraire spirituel. Le regard qu’il porte sur ses personnages, tout de compassion, éclate par exemple quand Valerie craque et avoue à son fiancé sa peur de mourir. Pas d’effets de mise en scène ici, on est dans le sentiment pur, dans la quintessence du pathétique. Ces grands moments d’émotion sont contrebalancés par d’autres, plus virtuoses ou plus signifiants (voir cette scène où la caméra se désintéresse du dialogue pour suivre le docteur aux noirs desseins).
Aidé par William Daniels, le chef-opérateur attitré de Greta Garbo, Douglas Sirk, par l’artifice le plus élaboré, parvient à des sommets poignants de dolorisme que la présence de nombreux crucifix, diégétiquement justifiés, souligne à loisir. Tout ici est pensé avec soin : de la composition des plans au moindre travelling, du jeu retenu de Claudette Colbert à la plus petite expression d’un second rôle, on est dans la maîtrise la plus totale, dans une réinvention d’un scénario par ailleurs assez plat. Certes, on n’est pas encore au niveau des grandes réussites comme Tout ce que le ciel permet ; néanmoins, cette Tempête sur la colline, tempête au moins aussi météorologique que mentale, n’a rien du brouillon d’œuvres à venir et approfondit notre admiration à l’égard d’un cinéaste dont rien, vraiment (comédies et western compris) ne peut laisser indifférent.
Les suppléments :
Jean-Pierre Dionnet, dont on connaît la ferveur, est responsable d’une présentation du film, dense et encyclopédique (12 minutes) et d’un module sur le réalisateur qui balaie en 8 minutes 40 nombre d’aspects (du style de Sirk à ses successeurs). Une bande-annonce et une galerie d’images complètent les bonus.
L’image :
Malgré quelques rares parasites (notamment dans la dernière séquence) et quelques plans un peu ternes, la copie restaurée est de toute beauté et rend hommage au travail de Daniels : lumière éclatante, noirs profonds, contrastes acérés.
Le son :
La seule piste (DTS HD Master audio dual mono), en vost, magnifie les dialogues, cristallins. La musique est un peu en retrait.
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