Le chef-d’œuvre d’un auteur culte
Le 21 juillet 2015
Premier volet du diptyque de Kiyoshi Kurosawa adapté d’un best-seller japonais, ce récit d’un traumatisme d’enfance est un sublime portrait de femmes au carrefour du polar et du suspense psychologique. Un coup de maître !
- Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
- Acteurs : Kyōko Koizum, Hazuki Kimura, Yū Aoi , Mirai Moriyama
- Genre : Drame, Film culte
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 1h59mn
- Date télé : 26 mars 2024 23:40
- Chaîne : OCS Pulp
- Titre original : Shokuzai
- Date de sortie : 29 mai 2013
Résumé : Dans la cour d’école d’un paisible village japonais, quatre fillettes sont témoins du meurtre d’Emili, leur camarade de classe. Sous le choc, aucune n’est capable de se souvenir de l’assassin. Asako, la mère d’Emili, désespérée de savoir le coupable en liberté, convie les quatre enfants chez elle pour les mettre en garde : si elles ne se rappellent pas du visage du tueur, elles devront faire pénitence toute leur vie. Quinze ans après, que sont-elles devenues ? Sae et Maki veulent se souvenir.
Critique : Initialement prévue pour la télévision japonaise, où elle constitue une mini-série de cinq épisodes, cette œuvre fascinante adaptée d’un best-seller a judicieusement été distribuée en salles en deux parties. En France, une semaine d’intervalle sépare les deux volets. Mais le diptyque forme un tout, en dépit d’un découpage qui correspond aux motivations des cinq jeunes protagonistes. Disons-le d’emblée : c’est une réussite majeure du cinéma japonais contemporain, et du cinéma tout court. Kyoshi Kurosawa nous avait certes déjà habitués à des hauteurs avec ses films cultes Cure ou Tokyo Sonata. Il réussit ici la synthèse de ses genres de prédilection : le polar et le drame familial, tout en réalisant une création originale, qui ne ressemble à aucune autre. Mais analyser ce film, c’est dévoiler tout un pan de l’intrigue ; aussi nous conseillerons au lecteur de ne lire la suite qu’après avoir vu Shokuzai.
Le (long) prologue est saisissant, qui voit l’assassinat hors-champ d’une enfant (sans que l’on puisse apercevoir le visage du meurtrier), et le désarroi de sa mère, qui passe de la souffrance à la haine de fillettes innocentes mais qu’elle tient pour responsables de la mort de sa progéniture. La peinture familiale est acerbe : les liens du sang peuvent s’avérer aveugles dans leur négation de tout autre attache : c’est ce que semble nous dire le cinéaste dont cet aspect du film fait écho à la thématique déployée dans Tel père, tel fils de Hirokazu Kore-eda. Le personnage d’Asako est d’ailleurs terrifiant, ombre élégante et spectrale qui ressurgit à deux reprises dans le récit. De Mater dolorosa, elle devient ange noir de polar. On songe à William Irish, et aussi à François Truffaut qui avait adapté La mariée était en noir. Mais là s’arrête la comparaison car on est moins dans un récit de vengeance que dans une histoire de pénitence. Shokuzai – celles qui voulaient se souvenir comporte deux sommets. C’est d’abord le portrait d’un fétichiste souhaitant épouser une jeune femme qu’il veut réduire au rang de poupée, curieuse métaphore de la condition de la femme nippone. C’est ensuite la séquence à la fois tragique et burlesque qui voit un directeur d’école soumis aux caprices des parents d’élèves au point d’organiser des réunions d’excuses de la part de sa communauté éducative ! Loin de faire relâcher la tension, ce genre de digressions se meut avec cohérence dans le dispositif narratif, la satire sociale et le suspense policier interagissant avec bonheur. Après deux heures d’émerveillement, le spectateur n’aura qu’une envie : découvrir la seconde partie de ce bijou. À suivre...
– Fribourg International Film Festival 2013 : Prix FIPRESCI
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Jean-Patrick Géraud 30 juin 2013
Shokuzai : Celles qui voulaient se souvenir - Kiyoshi Kurosawa - critique
La tension ne faiblit pas d’un épisode à l’autre et Kurosawa se livre à de subtils jeux d’échos entre les trames narratives. Portrait de femmes, vision critique d’une société cloisonnée et austère, tragédie sur le poids de la fatalité, c’est une oeuvre-somme qui en impose. J’aime en particulier les contrepoints comiques, qui ménagent notre sensibilité et donnent du rythme à l’ensemble. Et la dimension allégorique des personnages, qui permet de mettre à distance le déterminisme apparent de l’intrigue.