Le polar asiatique de l’année
Le 21 juillet 2015
Deuxième volet du diptyque de Kiyoshi Kurosawa qui raconte les réactions de plusieurs femmes face à un événement traumatique vécu dans leur enfance. Un sommet.
- Réalisateur : Kiyoshi Kurosawa
- Acteurs : Teruyuki Kagawa, Kyōko Koizum, Sakura Andō, Chizuru Ikewaki
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Film culte
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Condor Distribution
- Durée : 2h28mn
- Date télé : 18 mars 2024 23:00
- Chaîne : OCS Pulp
- Titre original : Shokuzai
- Date de sortie : 5 juin 2013
Résumé : Il y a quinze ans, quatre fillettes étaient témoins du meurtre d’Emili, leur camarade de classe. Incapables de se souvenir du visage du tueur, elles étaient menacées de pénitence par Asako, la mère de la disparue. Contrairement à Sae et Maki, Akiko et Yuka veulent oublier. Et la mère d’Emili, que cherche-t-elle encore après tout ce temps ?
Critique : Adapté d’un roman à succès de Mitano Kanae qui a également participé au scénario, Shokuzai - celles qui voulaient oublier est la seconde partie du diptyque de Kiyoshi Kurosawa, transposition pour le grand écran d’une série télévisée. Il s’agit des épisodes 3, 4 et 5, qui s’enchaînent avec une suite logique, ce qui était déjà le cas de ceux de la première partie. À cet égard, il est impératif de voir les deux volets dans l’ordre initial, et donc de commencer par Shokuzai – celles qui voulaient se souvenir. Les deux films forment un tout chronologique et feuilletonnesque, même si le montage aurait permis d’inverser deux ou trois des sous-parties, et malgré une structure privilégiant le flash-back. Les deux Shokuzai se rapprochent donc plus des expériences de Heimat (Edgar Reitz, 1984) ou Berlin Alexanderplatz (Rainer Werner Fassbinder, 1980) que de Smoking et No smoking (Alain Resnais, 1993), directement prévus pour le cinéma et qui pouvaient être appréciés dans n’importe quel ordre. On a également affaire à un autre cas des limites de la distinction entre films de télévision et de cinéma. Sans vouloir entrer dans une surenchère de superlatifs, il est permis de préciser que cette seconde partie est aussi exaltante que la première et constitue l’une des plus belles œuvres du cinéma contemporain, qui passionnera le cinéphile autant que le grand public, qui se précipitera sur Celles qui voulaient oublier aussitôt après la fin du premier volet. On a donc la confirmation de l’intelligence de la narration et de la richesse visuelle et thématique d’un film qui tient en haleine jusqu’au dernier plan. Nous conseillons au lecteur de lire la suite de la critique uniquement après avoir vu l’ensemble du film, pour ne pas porter atteinte au suspense du récit, l’un des plus forts depuis Psychose, et dont l’univers oscille entre la structure en spirale d’Agatha Christie et les labyrinthes mentaux de David Lynch.
- Copyright Version Originale / Condor
Celles qui voulaient oublier suit donc le destin des deux dernières jeunes femmes victimes du traumatisme du meurtre d’Emili. Akiko (épisode 3) et Yuka (épisode 4), avant de se centrer sur le personnage d’Asako (épisode 5), la mère de la victime, décidée à éliminer celui qu’elle pense être l’assassin de sa fille. Comme dans Vertigo, le fil de l’intrigue est quasiment dénoué en milieu de parcours (à savoir ici la fin de l’épisode 4), le dernier et long chapitre étant une conclusion à rebondissements clarifiant tous les éléments de l’intrigue et apportant des explications complémentaires qui permettent de comprendre l’ensemble du puzzle narratif du récit, tout en constituant un sommet de suspense policier et psychologique, aux accents de tragédie grecque. Adultère, inceste, pédophilie, vengeance, passions inavouables et rancœurs éternelles sont les leitmotivs d’un récit à tiroirs qui n’utilise aucun effet gore et qui est pourtant terrifiant, comme le furent les films de Jacques Tourneur ou certains Polanski. Dans cet univers en apparence feutré et policé, aucun personnage n’est exempt de zone d’ombre. Les figures maternelles secondaires sont de veules créatures (la mère d’Akiko est persuadée que sa fille ne sera jamais belle), les hommes lâches et individualistes (le frère d’Akiko pas clean pour un sou avec les femmes de son entourage, le beau-frère policier de Yuka se laissant séduire par celle-ci mais la rejetant dès que son couple est en danger). Le poids de la malédiction s’abat sur les anciennes petites écolières mais Akako feint de respecter le pacte de pénitence, ne tuant son frère qu’elle suspecte de pédophilie que pour exprimer sa jalousie et échapper à une mère abusive. Elle est donc bien la première des filles à vouloir oublier. Vouloir oublier, c’est également ce qu’admet (mais explicitement) Yuki, qui n’hésite pas à voler le mari de sa sœur et demander celui d’Asako en échange du nom du meurtrier... Kurosawa et sa scénariste font d’ailleurs voler en éclats les conventions morales puisque la jeune femme la plus cynique de l’histoire est celle qui survit et échappe à la prison... Mais on restera surtout fasciné par Asako, qui oscille entre la mère courage et la femme fatale, mante religieuse qui tisse sa toile de la vengeance avant d’être prise dans des filets imprévus qui la renvoient à son propre passé, celui où elle commit une faute passionnelle à l’origine de ses malheurs. Le virage que prend l’épisode 5 est cet égard l’un des plus étonnants moments de tension de l’ensemble. L’actrice Kyoko Koizumi incarne à merveille ce personnage élégant, émouvant et sournois à la fois. Sa présence de plus en plus centrale au fur et à mesure que le récit progresse est l’une des réussites de ce polar fleuve au montage sublime, critique acerbe de la société nippone et conte cinématographique crépusculaire.
– Fribourg International Film Festival 2013 : Prix FIPRESCI
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Jean-Patrick Géraud 30 juin 2013
Shokuzai - celles qui voulaient oublier - Kiyoshi Kurosawa - critique
Tout aussi magistral que le précédent. Les jeux d’échos entre les épisodes trouvent leur aboutissement dans un chapitre final d’une très grande intensité.