Le journal (intime) du hard
Le 12 février 2016
Steve McQueen aliène une fois de plus le corps de Michael Fassbender à ses nécessités bestiales, en s’intéressant au thème de l’addiction sexuelle. Une fable un peu lisse et distante, qui fait toutefois exploser à l’écran un véritable corps de cinéma.
- Réalisateur : Steve McQueen
- Acteurs : Michael Fassbender, Carey Mulligan, James Badge Dale, Nicole Beharie, Amy Hargreaves, Alex Manette
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : MK2 Distribution
- Durée : 1h39mn
- Date de sortie : 7 décembre 2011
- Festival : Festival de Venise 2011
Résumé : Brandon est un trentenaire new-yorkais, vivant seul et travaillant beaucoup. Son quotidien est dévoré par une seule obsession : le sexe. Quand sa sœur Sissy, chanteuse un peu paumée, arrive sans prévenir à New York pour s’installer dans son appartement, Brandon aura de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie.
Critique : Shame est l’histoire d’une machine à jouir qui tourne à vide. De la première à la dernière image du film, Steve McQueen refuse de lâcher ce corps en quête incessante de désir et de possession, guidé par une tête pleine de fantômes obscènes, et qui traverse le labyrinthe de la ville sous des airs de normalité. American Psycho (ren)contre Eyes Wide Shut. La volonté de capturer le rythme d’une obsession qui s’est généralisée au point de se transformer en habitude et mode de vie conduit le récit à figurer un quotidien scandé par les non-événements inavouables de la vie du personnage principal : masturbation, recherche d’escort girls, matage de films X et de strip-teases par webcam. Cette économie de la jouissance sans but est replacée par le cinéaste dans un univers urbain dévitalisé, au sein duquel l’addiction au sexe n’est qu’une facette triste et exemplaire du capitalisme et de son système de marchandisation. Sur les sites pornographiques que consulte Brandon, le sexe s’offre en « catégories » (pratiques, positions, morphologies, fétiches divers…) ; à chaque consommateur (l’illusion de) la liberté de faire un choix dans le tout-cochon virtuel.
- © 2011 See-Saw Films, Film4. Tous droits réservés.
À trop vouloir disséquer ce mécanisme d’aliénation, Shame court pourtant le risque de dissoudre la dimension humaine de son sujet. Comme dans Hunger, l’univers formel et symbolique de McQueen est habité par la question de la bestialité, et sa paradoxale liaison avec la grâce – à partir de quel seuil la criante nécessité des fonctions vitales fait-elle osciller l’homme entre le dieu et la bête ? Cependant, là où les luttes politiques de Bobby Sands autorisaient le passage à l’ordre du discours et de la pure métaphore, une telle « réponse par le concept » menace Shame de désincarnation. Le fond du discours de Shame n’offre cependant pas une quelconque révolution de pensée quant à la sexualité humaine. Faussement annoncé comme sulfureux (mais le soufre est-il mesurable uniquement par rapport aux centimètres carrés de chair exhibée ?), le film offre quelques moments discutables par leur caractère étrangement puritain. Ainsi en est-il du « climax » (à tous points de vue…) du film, qui cumule les clichés thématiques et le mauvais goût formel : pris entre enfer et ciel, Brandon erre au hasard dans New York, où il passe des plaisirs homo défendus goûtés dans le backroom d’une boîte glauque tout droit sortie d’un film de Gaspard Noé, à la jouissance pure entre deux corps féminins, soulignée par force violons stridents et une lumière irradiée…
- © 2011 See-Saw Films, Film4. Tous droits réservés.
McQueen suit en cela une certaine tendance du cinéma contemporain à aller « jusqu’au bout », dans cette zone frontière entre lyrisme et grotesque ; mais à la différence d’un Darren Arofonosky et de l’onde de choc que provoquaient par exemple les séquences de danse de Black Swan, le trait stylistique est si forcé et lissé qu’il finit par nous mettre à distance. La seule chair véritable révélée par Shame est pourtant celle de Michael Fassbender, qui représente ici bien plus qu’une masse physique exposée face à la caméra. Rarement un corps moderne de cinéma ne se sera révélé aussi désirable, indépendamment de l’identité du spectateur ; passant de la fragilité à la puissance, il vibre et vrombit, martyr et bourreau sexuel, provoquant une troublante irruption de vie dans cet univers glacé, tout en surfaces, qui aurait mérité de nous faire plonger en profondeur…
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Frédéric Mignard 10 décembre 2011
Shame - la critique
Une oeuvre, certes froide et clinique, qui parvient toutefois à retranscrire, dans son enfer de sexe, une indicible souffrance... Rarement le poids du passé aura été aussi douloureux à l’écran, sans jamais se révéler dans l’explicite. Michael Fassbender est puissant, Carey Mulligan bouleversante. Quant au score de Harry Escott (très proche d’une musique de David Julyan), il nous tire dans les caveaux de la mélancolie.
Une très belle oeuvre.
roger w 11 décembre 2011
Shame - la critique
Désagréable à regarder, le film de Steve McQueen l’est assurément. Froid et même glacial, aussi. Dire que l’on prend plaisir à le regarder serait mentir, mais il dégage tout de même un terrible mal-être qui finit par toucher. Si l’on ne saura jamais ce qui est la cause du malaise des deux personnages, le cinéaste donne quelques indices qui nous invitent à la réflexion. Aidé par une superbe réalisation et une interprétation couillue de Fassbender, le film finit par emporter le morceau. Il n’en demeure pas moins une oeuvre rude et plutôt désespérante.