Sale temps pour les pêcheurs - la critique

Le premier long-métrage d’Alvaro Brechner séduit par son registre singulier, mais peine un peu à surprendre

L’argument : Deux marginaux voyagent hors des sentiers battus. Ils font le tour des villes d’Amérique du Sud où ils organisent des compétitions de catch : Orsini, le businessman qui s’autoproclame "Le Prince", et son protégé Jacob van Oppen, un ancien champion du monde et incontrôlable titan, que seule la douce mélodie de Lily Marlene apaise.

Notre avis : Adapté d’une nouvelle de Juan Carlos Onetti, Sale temps pour les pêcheurs nous plonge d’emblée dans un univers atypique et décadent, très proche du western. La première séquence donne le ton : deux ambulanciers volent au secours d’un homme proche de la mort, dans un théâtre en proie à une violente querelle. La musique, tonitruante, dit bien l’atmosphère tragique qui pèsera sur la suite du film. Sale temps pour les pêcheurs se situe clairement du côté de la fiction épique, avec une théâtralité revendiquée, mais aussi avec des moyens modestes, ce qui crée une atmosphère décalée, burlesque, due au mélange de références convoquées par l’univers du film.
Ce mélange de comique burlesque - disons, proche de Don Quichotte - et de drame psychologique fait sans conteste le principal charme du film. Les scènes alternent ainsi moments graves, parfois inquiétants - menaces de Jacob envers son impresario fumeux - et les numéros délibérément grotesques, comme lorsque l’ancien champion se donne en spectacle devant un public émerveillé par sa force. La direction d’acteurs flirte parfois avec les clichés - par exemple lorsqu’est évoquée l’humanité de Jacob, sensible derrière son apparence de brute - mais elle demeure efficace. Gary Piquer, excellent, prête avec beaucoup de talent sa plastique de mafieux au prince Orsini. Globalement, donc, la proposition tient la route. Sale temps pour les pêcheurs relève le défi qu’il s’est lancé de conjuguer le grotesque et le sérieux, l’intimisme et le "tout public".
Mais précisément, cette réussite est aussi la limite du film. Limite parce que les recettes du mélange sont souvent exhibées, au travers d’une mise en scène assez conventionnelle. A force de travailler la distance, Brechner refuse tout discours sur le monde de la lutte, qu’il dénonce parfois de manière vague et allusive, ou bien qu’il feint d’encenser, mais seulement à demi-mots. On aurait aimé davantage de cruauté et d’énergie, comme on pouvait en trouver dans Million Dollar Baby. Art de la demi-mesure ou manque d’audace ? Sale temps pour les pêcheurs demeure néanmoins une oeuvre singulière. A découvrir, donc.

Entretien avec Alvaro Brechner et Gary Piquer : ICI