Le Réel et son double
Le 16 mai 2016
Le nouveau poème visuel de Jim Jarmusch emprunte autant à la littérature qu’à l’extravagante comédie qu’est notre quotidien. Que de volupté dans ces tours et détours à Paterson.
- Réalisateur : Jim Jarmusch
- Acteurs : Golshifteh Farahani, Rizwan Manji, Kara Hayward, Adam Driver, William Jackson Harper
- Genre : Comédie dramatique, Romance
- Nationalité : Américain, Français, Allemand
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 1h53mn
- Date de sortie : 21 décembre 2016
- Festival : Festival de Cannes 2016
Résumé : Paterson vit à Paterson, New Jersey, ville de poètes en décrépitude qui vit passer William Carlos Williams ou encore Allan Ginsberg. Chauffeur de bus d’une trentaine d’années, il mène une vie réglée aux côtés de Laura, qui multiplie projets et expériences avec enthousiasme, et de Marvin, bouledogue anglais. Chaque jour, Paterson écrit des poèmes sur un carnet secret qui ne le quitte jamais…
- Copyright Mary Cybulski
Critique : Il faudrait toujours se trouver dans un état de demi-conscience pour pénétrer le cinéma de Jim Jarmusch. Un pré-requis qui semble plus vrai que jamais avec Paterson. Ne serait-ce que parce que ce nouveau voyage au bout des sens du cinéaste-rockeur comporte peut-être encore plus de boucles, de répétitions et de pérégrinations contemplatives qu’à l’accoutumée. Cette virée poétique pourrait même rapidement en devenir éprouvante si ce n’était sa douceur et son atmosphère flottante donnant l’impression de basculer dans un inframonde duveteux. Schématiquement, Paterson consiste en la description d’une semaine de la vie de Paterson, protagoniste rêveur et attachant joué par Adam Driver. Chaque jour, celui-ci se rend à pied au travail en traversant une ancienne usine, profite du temps qu’il lui reste avant l’arrivée de son patron pour écrire un poème dans son carnet secret, écoute les conversations des badauds installés dans son bus, discute avec sa petite amie, promène son chien et termine chaque fois par une bière au café du coin - on pense à Coffee and cigarettes autant qu’à Stranger Than Paradise. Cet emploi du temps millimétré, toujours vécu avec flegme et nonchalance par Paterson, a quelque chose d’hypnotique.
- Copyright Mary Cybulski
Pour matérialiser le temps qui défile depuis l’habitacle du bus, Jarmusch égraine les plans par surimpression - magnifiques fondus enchaînés presque caléidoscopiques - sur la musique de Sqürl, son propre groupe. Mais ces effets superbes et cette lancinance ne tiennent en aucun cas du remplissage. Car Jarmusch nous parle après tout de notre propre quotidien et de la manière dont nous parvenons à échapper à l’ennui qu’il procure. Cet échappatoire, c’est la poétisation de l’impossible : une boîte d’allumettes, des gouttes de pluie, l’amour. Sous sa caméra, cette banalité du quotidien nous apparaît presque séduisante, en dépit d’un cynisme très Daniel Clowes - l’atmosphère de ses BD est très présente dans Paterson - : on ne sait par exemple qui de Paterson ou de Marvin le bouledogue promène l’autre. De même, Laura, la petite amie truculente de Paterson obsédée par le noir & blanc et jouée par Golshifteh Farahani, apparaît tantôt rasante tantôt attendrissante. C’est bien cette ambivalence et cette dualité qui donnent à Paterson toute sa profondeur.
- Copyright Mary Cybulski
Il y a d’ailleurs une dimension plus métaphysique qui se niche dans cet espace lyrique. Ce Paterson qui vit et travaille comme chauffeur de bus à Paterson et écrit des poèmes comme William Carlos Williams, lui-même jadis habitant de Paterson n’est au fond que la personnification de la ville éponyme. La passion de Jarmusch pour la versification n’est pas nouvelle. Or, quoi de plus poétique pour ce dernier que de tirer le portrait de cette ville du New Jersey en la transfigurant en chair et en os, comme si Je était une ville ? Paterson, chauffeur de bus poète et un peu ringard sur les bords, intègre l’identité même de la ville : il porte en lui à la fois son aspect fané, mais qui palpite encore - l’ombre d’une âme de poète. Conducteur de bus, il s’intéresse à Dante Alighieri, est passionné par les poèmes d’Emily Dickinson ou encore de William Carlos Williams. La question de la dualité - du personnage éponyme mais aussi des nombreux protagonistes - se retrouve dans tout Paterson : nombre de personnages se voient ainsi accompagnés de leur jumeau - même réflexion s’agissant de Lou et Bud Costello. Cette gémellité symbolique pourrait bien renvoyer à l’angoisse du sujet (Paterson) face à sa non-réalité. Si le corps de Paterson est bien l’ombre, la ville en est l’âme. Âme qu’il retrouve grâce à la poésie, elle qui anime cette cité depuis des décennies. Le fait de perdre son carnet secret, découpé en morceaux par son chien Marvin pendant qu’il visionnait au cinéma un film de Jacques Tourneur, n’est finalement qu’une renaissance. Renaissance par ailleurs évoquée à demi-mot par l’homme croisé à la fin dans le parc, le fameux poisson renvoyant allégoriquement à la perpétuation des cycles.
- Copyright Mary Cybulski
Mais qu’importe en définitive que les velléités de Jim Jarmusch soient à ce point littéraires ou pas : il réussit dans tous les cas une fois de plus à susciter une expérience extraordinaire au spectateur. Spectaculaire, la mise en scène méritait une récompense au palmarès du Festival de Cannes 2016. Au moins Marvin le bouledogue anglais - hilarant - décrocha-t-il sans surprise la Palme dog.
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Marla 23 décembre 2016
Paterson - la critique du film
Franchement, je ne comprends pas. Toute la critique semble avoir adoré Paterson, alors qu’il s’agit du plus mauvais Jarmusch : http://marlasmovies.blogspot.fr/2016/12/paterson-de-jim-jarmusch-adam-bus-driver.html