Les histoires d’amour finissent mal... en général
Le 7 avril 2015
Une histoire d’amour entre un Parisien bobo et une gentille Arrageoise est l’occasion pour le réalisateur Lucas Belvaux de se questionner sur les préjugés entre régions et sur les clivages sociaux.
- Réalisateur : Lucas Belvaux
- Acteurs : Didier Sandre, Émilie Dequenne, Amira Casar, Anne Coesens, Martine Chevallier, Loïc Corbery, Daniela Bisconti
- Genre : Comédie, Romance
- Nationalité : Français
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h51mn
- Date télé : 27 novembre 2021 21:40
- Chaîne : OCS City
- Date de sortie : 30 avril 2014
Résumé : Clément, jeune professeur de philosophie parisien est affecté à Arras pour un an. Loin de Paris et ses lumières, Clément ne sait pas à quoi occuper son temps libre. C’est alors qu’il rencontre Jennifer, jolie coiffeuse, qui devient sa maîtresse. Si la vie de Clément est régie par Kant ou Proust, celle de Jennifer est rythmée par la lecture de romans populaires, de magazines "people" et de soirées karaoké avec ses copines. Cœurs et corps sont libres pour vivre le plus beau des amours mais cela suffira-t-il à renverser les barrières culturelles et sociales ?
Critique : Après avoir filmé les fractures sociales dans ses précédents films, le réalisateur belge Lucas Belvaux s’attarde sur les fossés culturels dans son nouveau long métrage, adaptation d’un ouvrage de Philippe Vilain paru en 2011, et qui évoque la relation amoureuse et éphémère de deux êtres qui ne viennent pas du même milieu social. Le film suit ainsi l’histoire d’amour entre Clément, Parisien bobo, célibataire et désespéré par sa mutation dans le Nord-Pas-de-Calais, et Jennifer, pétillante coiffeuse divorcée et maman d’un petit garçon de dix ans. Rien ne peut les empêcher de s’aimer, sauf la fracture sociale et culturelle qui a plus d’importante pour l’un que pour l’autre. Obstacle permanent, elle va peu à peu devenir aussi handicapante que les lacunes affectives de Clément, incapable de s’engager et d’avouer ses sentiments à une femme qui, au contraire, exprime son amour ouvertement et se donne toute entière.
- © Agat Films & Cie
Différentes scènes donnent les clés de la psychologie de Clément aux spectateurs : la toute première déjà, lorsqu’il rompt avec une femme qui espérait beaucoup plus de lui que ce qu’il peut donner. Un second passage évoque la manière dont il voit la vie, l’avenir et les rapports amoureux : face à une ex-compagne, il ne peut que lui rappeler qu’il ne peut et ne veut s’engager avec personne, ni avoir d’enfant. Pour lui, s’engager auprès d’une femme revient à abandonner tout projet futur avec une compagne qui lui conviendrait mieux : aussi refuse-t-il de gâcher un possible bonheur futur pour une relation dans le présent. Professeur de philosophie et écrivain, il analyse beaucoup, trop sans doute, au point de constater qu’il a de graves handicaps dans ses rapports avec autrui.
- © Agat Films & Cie
Lucide sur son caractère et ses désirs, il n’évoque jamais sa vision de l’avenir avec Jennifer, la considérant dès le départ comme une femme avec qui il est bon de passer son temps libre, sans envisager quelque chose d’autre. Ce que le public sait, Jennifer ne le comprendra jamais, et finira par saisir toutes leurs différences, cherchant sans cesse à se montrer digne de lui parce qu’elle pense qu’égaler son niveau culturel est la clé de leur avenir ensemble. Sans ambition intellectuelle particulière, elle ne sera jamais considérée par Clément sans une certaine condescendance.
- © Agat Films & Cie
Les personnages n’échappent malheureusement pas à la caricature. Leurs origines sociales, mais également régionales, jouent forcément dans la perception que nous avons d’eux, car elles font partie de leurs identités d’une manière flagrante. Clément est ainsi le Parisien "type" : arrogant, méprisant, il ne se considère heureux qu’à Paris au milieu d’une certaine élite intellectuelle qu’il ne pourrait trouver nulle part ailleurs. Arras n’est pour lui qu’une escale, comme Jennifer n’est qu’une passade. Il pose ainsi un regard sans cesse critique sur la population arrageoise, que ce soit sur ses élèves qui n’égalent pas les petits Parisiens ou sur ses collègues, qu’il ne considérera jamais comme des amis malgré tous leurs efforts en ce sens. Pris à son propre piège face aux sentiments qu’il ne peut s’empêcher d’éprouver pour Jennifer, il déplore intérieurement son manque d’instruction, son absence d’esprit critique ainsi que son apparence. Parfois cruel dans une façon d’être qui lui est naturelle, il est obnubilé par l’apparence artificielle de sa compagne, entre ses cheveux décolorés, ses faux ongles et son maquillage, qu’ils considèrent comme des agressions.
- © Agat Films & Cie
A l’inverse, Jennifer a un caractère entier et s’offre totalement dans une relation vouée à l’échec dès le départ, ce qu’elle refuse d’admettre. Ayant toujours l’impression de n’être pas à la hauteur, elle est poussée par son instinct à s’intéresser à des choses qu’elle n’aime pas, lâchant ses magazines "people" pour des ouvrages de Kant ou Zola. D’une joie de vivre à toute épreuve, elle aime les choses simples et est décrite comme intelligente mais limitée face à un homme qui cherche à l’instruire au lieu de partager ce qu’il aime avec elle. Caricature de la jeune femme simple qui n’a d’autres ambitions que d’être heureuse, elle pâtit pour la première fois d’avoir abandonné ses études, au cœur d’une région dont les intellectuels comme Clément n’attendent pas grand-chose. Les Arrageois apprécieront...
- © Agat Films & Cie
Le film est porté par l’interprétation solaire d’Emilie Dequenne, qui abandonne pour un temps des drames forts comme A perdre la raison pour la comédie, où il est fort agréable de la retrouver. Blonde pour l’occasion, elle illumine l’écran à chaque apparition, mettant en valeur la froideur de Clément. Face à elle, Loïc Corbery de la Comédie-Française transpose son amour des belles lettres et des beaux textes en interprétant un personnage difficile à cerner, qui trouve dans les livres les compagnons d’une vie, où il est plus simple de se plonger que dans la vie réelle. Intelligent et réfléchi, c’est pour autant par lui que le bât blesse dans cette histoire d’amour qui pourrait être merveilleuse si les clivages sociaux n’étaient pas pour lui, et lui seul, un véritable obstacle.
- © Agat Films & Cie
Sans pour autant plonger dans la facilité avec une simple satire du monde intellectuel, le film soutient surtout la thèse qu’il n’est pas possible de s’aimer sans prendre en compte la société, ses contraintes, ses préjugés et les milieux socioculturels dont il est bien difficile de se libérer. Cumulant des scènes légères avec d’autres d’une rare profondeur, Pas son genre marque sa différence avec d’autres comédies romantiques en s’écartant de l’image rose bonbon de la romance traditionnelle sur grand écran.
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patlechat 22 septembre 2014
Pas son genre - la critique du film
DE L’AMOUR ET DU HASARD...
Lucas Belvaux nous invite à une autopsie du sentiment amoureux. Qu’y-a-t-il de commun entre Clément, un prof de philo "exilé à Arras" et Jennifer, une coiffeuse qui élève son enfant seul ? Rien ou pas grand chose : personne ne mettrait un seul kopeck sur ce couple. Pourtant, l’on s’attache à ces deux personnages parce qu’ils nous révèlent le sentiment amoureux au prise avec les distances culturelles, le besoin d’admirer, de fusionner avec l’univers de l’autre, de partager ses différences et de se heurter à l’indifférence, au mépris, à la catégorisation. Le film est réalisé avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence, et l’on comprend avec le jeu puissant des personnages combien il est difficile d’aimer et de regarder ensemble dans une même direction commune et "intérieure".