Psychologie inversée
Le 2 août 2024
La culture pub contre les lois de la junte.
- Réalisateur : Pablo Larraín
- Acteurs : Gael García Bernal, Nestor Cantillana, Alfredo Castro, Antonia Zegers, Marcial Tagle, Luis Gnecco
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Américain, Chilien
- Distributeur : Wild Bunch Distribution
- Durée : 1h57mn
- Titre original : No
- Date de sortie : 6 mars 2013
- Festival : Festival de Cannes 2012
Résumé : Chili, 1988. Lorsque le dictateur chilien Augusto Pinochet, face à la pression internationale, consent à organiser un référendum sur sa présidence, les dirigeants de l’opposition persuadent un jeune et brillant publicitaire, René Saavedra, de concevoir leur campagne. Avec peu de moyens, mais des méthodes innovantes, Saavedra et son équipe construisent un plan audacieux pour libérer le pays de l’oppression, malgré la surveillance constante des hommes de Pinochet.
Critique : Histoire de rentrer dans le vif de l’objet, précisons que niveau plastique, le quatrième effort du très Chilien et très politique Pablo Larraín a tout du jouet bondien : à savoir un gadget d’emblée discutable (les prises de vue sont réalisées au quasi-caméscope pour mieux se mêler aux images d’archives) qui devient outil imparable dans le feu de l’action. Parce que si la greffe du vidéo-naturalisme ne prend jamais vraiment, échouant à devenir la béquille immersive vantée par Larraín dans son dossier de presse, c’est le discours du métrage, centré sur le point de jonction entre réalités publicitaires et objectives, qui valide finalement le procédé. Non seulement amnésique, et enclin à balayer sous le tapis de l’Histoire les deux ou trois entorses aux droits de l’homme commises par Augusto et ses camarades de junte (au grand dam de ses dissidents de longue date), l’optimisme forcené de la campagne usinée par Saavedra/Bernal apporte également la preuve qu’une machine à fantasmes bien entretenue peut substituer ses instantanés d’euphorie aux images du réel, quitte à verser –pour la bonne cause - dans la même rhétorique propagandiste que ses rivaux.
Gorgés de clowns hystériques, de familles radieuses, de lendemains chantants et de charges comiques contre le régime de Pinochet, les clips du « Non » sont autant de clones de la réclame coca-colesque proposée par Saavedra en guise de première séquence, et sont ironiquement (à défaut d’être subtilement) accompagnées du même argumentaire cousu de vide que le fils de pub débite sans trembler pour justifier son salaire auprès de ses clients, mais également auprès de son patron, futur directeur de la campagne du « oui ». Ce paradoxe, qui sert admirablement le double film de Larraín (à la fois récit d’une indispensable victoire politique et chronique d’un triomphe cynique dont le nouveau Chili se serait bien passé sur les starting-blocks) ne joue pourtant pas en faveur de son personnage principal, tour à tour montré comme un cyborg apolitique, une incarnation dépassionnée du système qu’il combat, puis soudainement un père terrorisé par les menaces du régime ou un amoureux éconduit que Larraín voudrait que l’on humanise à sa place. Résultat : on met rapidement de côté l’énigme sans saveur de René Saavedra – simple protagoniste-fonction chargé de porter comme un fantôme le message du réalisateur – pour mieux s’accrocher à la valeur documentaire d’une petite révolution de la communication dont les coulisses fictionnelles, malicieuses mais trop schématiques, trop cliniques ou trop attendues, ne souillent jamais l’intérêt fondamental.
Super doc et petit film, No est une œuvre fondamentalement utile, complice de vos neurones mais étrangère à vos tripes.
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tedsifflera3fois 21 mars 2013
No - Pablo Larraín - critique
Absolument d’accord. No interroge l’engagement politique et ses moyens. Dommage que le film paraisse statique et impersonnel, loin de provoquer l’engouement ou le malaise attendus. Ma critique : http://tedsifflera3fois.com/2013/03/20/no-critique/