Rites anthropophages
Le 20 août 2014
Une première œuvre qui offre une approche originale du thème cannibale, entre drame familial, satire sociale et récit gore, mais dont l’atmosphère tendue n’est pas exempte de nombreuses maladresses.
- Réalisateur : Jorge Michel Grau
- Acteurs : Alan Chavez, Paulina Gaitan, Francisco Barreiro
- Genre : Épouvante-horreur
- Nationalité : Mexicain
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h30mn
- Titre original : Somos lo que hay
- Date de sortie : 3 décembre 2010
Sortie vidéo : 3 septembre 2014
Une première œuvre qui offre une approche originale du thème cannibale, entre drame familial, satire sociale et récit gore, mais dont l’atmosphère tendue n’est pas exempte de nombreuses maladresses.
L’argument : Après le décès de leur père, trois adolescents doivent soudainement faire face aux dures réalités de la vie. Ils doivent apprendre à subvenir à leurs besoins et à ceux de leur mère... Mais les membres de cette famille ne sont pas tout à fait ordinaires : un mal bien pernicieux les ronge. La faim...de chair humaine !
Notre avis : Pour son premier long métrage, Jorge Michel Grau s’attaque à une thématique classique du cinéma d’horreur mais avec un traitement singulier, son film relevant au bout du compte autant (sinon plus) du drame familial que de l’exploitation sanguinolente, si ce n’est pour deux ou trois scènes gore. En effet, Ne nous jugez pas opte pour la métaphore, celle de la perte, du deuil, du poids de la famille, du secret ou d’un patriarcat bien trop fort et dévorant. Que fait-on quand la figure du père meurt ? Comment retrouve-t-on un équilibre, ou pas, quand toute stabilité est perdue ? Comment gère-t-on ce chaos, cette hystérie, ce manque ? Les cannibales sont psychologiques dans cette œuvre. Ils se rongent et s’auto-dévorent dans leurs interdits et peut-être aussi leur pruderie et leur refus d’accepter leurs pulsions (la haine de la mère pour les prostituées, le rejet d’Alfredo l’aîné à accepter son homosexualité, l’attirance sexuelle entre les deux cadets, Julian et Sabina). Il est donc question ici de désir et de refoulement. Les personnages s’épient entre des portes entrebâillées ou derrière des vitres, restant comme inaccessibles les uns aux autres. La première partie retranscrit très bien cet étouffement, notamment en insistant sur l’atmosphère claustrophobe qui règne dans la maison familiale ou dans son portrait d’un Mexico sordide, peuplé de filles de joie défoncées, de flics corrompus et de jeunes enfants laissés à l’abandon. Au bout du compte, le film pose la même question que Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato : Qui sont les vrais cannibales ? Cette famille ne serait-elle pas le résidu d’une société mexicaine déliquescente ? D’ailleurs, dès que le père meurt dans la scène introductive, ses traces sont nettoyées aussitôt, comme si la vie humaine ne valait pas plus qu’un simple déchet.
DR
À travers un rite ancestral et secret, cette famille tente avant tout de survivre. Le cannibalisme semble être pour eux une nécessité plus qu’un véritable désir. Ce besoin c’est aussi celui de continuer à exister quand la mort, la perte nous plongent dans cet engourdissement et cette paralysie. Le jeu d’acteur de Francisco Barreiro est sûrement le plus juste, il semble comme ankylosé dans son corps, parlant peu, voyeur constant, tout semble se concentrer dans son regard. Écarquillé, avide. Affamé ? Le film d’ailleurs, comme dans un récit picaresque, nous narre son passage de l’adolescence à l’âge adulte, et il faut bien avouer que la thématique du désir cannibale et l’adolescence fonctionnent très bien ensemble.Nous sommes donc très loin des indigènes voraces des productions italiennes des années 70 ou des familles rurales au chômage perdues au fin fond du Texas.Le cannibalisme n’est pas jovial ou régénérateur, il est juste une concrétisation du malaise. Pourtant, malgré ces idées passionnantes et cette ambiance faite de non dits, le long métrage ne peut obtenir notre totale adhésion. Au-delà du manque de rythme, le scénario ne développe pas assez les nombreuses réflexions qu’il suscite afin de déranger le spectateur. Nous avons de belles idées de mise en scène, un sujet intriguant, une violence dans les rapports humains (les crises du jeune frère, l’hystérie de la mère) mais le réalisateur fait l’erreur d’intégrer une intrigue policière et un humour potache dans la seconde partie qui, d’une certaine façon, abolissent tout ce qui a été mis en place auparavant. Le comique est, il est certain, un domaine que Jorge Michel Grau ne maîtrise pas. Les policiers caricaturaux en sont la triste preuve.
DR
On ressort donc du visionnage de Ne nous jugez pas avec un sentiment de frustration. D’un côté, nous ne pouvons que reconnaître les très nombreuses qualités du film (la tension faite de complicité entre les personnages, la thématique cannibale se teintant de réalisme social, voire de satire dépressive) mais trop de choses restent en suspens (nous ne savons rien du rite en tant que tel et de sa provenance supposée sacrée) et le réalisateur semble hésiter entre cinéma d’auteur et provocation à deux francs avec blagues de mauvais goût. Cet éparpillement dans les tons et les registres, le manque de finesse parfois aussi (la mère) handicapent une œuvre qui bénéficie néanmoins de scènes fortes (celles où les jeunes partent à la quête des victimes) et amène à plus de questionnements qu’elle ne donne de réponses.
Les suppléments
Pas grand chose à se mettre sous la dent au niveau des bonus, si ce n’est un making-of mal monté, inutile et ennuyeux au possible. Aucun entretien. La seule chose peut-être à retenir est la construction des décors de la maison où se déroulent les trois quart du film, à part que ces images sont passées en accéléré, avec des musiques incongrues. C’est toujours un plaisir d’entendre « Computer Love » de Kraftwerk, mais je crois qu’il ne faut pas aller chercher plus loin. Sinon, vous avez aussi droit à des précisions sur l’occlusion intestinale de l’actrice et vous pouvez voir Francisco Barreiro et Alan Chavez (abattu en septembre 2009 par la police mexicaine) en train de faire les zouaves. Etait-ce vraiment nécessaire de filmer ça et, qui plus est, de le faire figurer sur un DVD ?
L’image
Pour appuyer son sujet, Jorge Michel Grau, avec son directeur de la photographie, Santiago Sanchez, ont fait le choix d’une image assez sombre qui sied à merveille avec les ambiances crépusculaires de Mexico et avec le sentiment d’étouffement que l’on ressent tout du long. Les jeux d’ombres sont très réussis, notamment dans les scènes dans la maison, et le réalisateur arrive à exposer l’isolement des personnages au sein de la famille par d’adroits cadrages. Tout cela est rendu dans un format 1.85 16/9ème, compatible 4/3.
Rien à dire à ce niveau-là. La partition musicale d’Enrico Chapela soutient très bien l’atmosphère du film, qui nous est proposé en espagnol DTS 5.1 et Dolby Digital 2.0, avec des sous-titres en français bien entendu.
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Frédéric Mignard 20 août 2014
Ne nous jugez pas - la critique + Test DVD
Une atmosphère lourde, un climat glauque, pour une oeuvre un peu confuse qui n’exploite pas toutes les bonnes idées qu’elle lance.
Un bon DVT néanmoins, supérieure à son remake,.
Le film de genre mexicain est donc relancé !