Le 8 septembre 2015
Malgré de vraies qualités, Straight Outta Compton est un film schizophrène, qui finit par devenir ce qu’il n’aurait sûrement pas voulu être : un film de riches en plein dans le système, loin du gangsta rap.
- Réalisateur : F. Gary Gray
- Acteurs : O’Shea Jackson Jr., Corey Hawkins, Jason Mitchell, Aldis Hodge, Neil Brown jr.
- Genre : Biopic, Musical
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h27mn
- Date de sortie : 16 septembre 2015
Malgré de vraies qualités, Straight Outta Compton est un film schizophrène, qui finit par devenir ce qu’il n’aurait sûrement pas voulu être : un film de riches en plein dans le système, loin du gangsta rap.
L’argument : En 1987, cinq jeunes hommes exprimaient leur frustration et leur colère pour dénoncer les conditions de vie de l’endroit le plus dangereux de l’Amérique avec l’arme la plus puissante qu’ils possédaient : leur musique. Voici la véritable histoire de ces rebelles, armés uniquement de leur parole, de leur démarche assurée et de leur talent brut, qui ont résisté aux autorités qui les opprimaient. Ils ont ainsi formé le groupe de rappeur des N.W.A en dénonçant la réalité de leur quartier. Leur voix a alors déclenché une révolution sociale qui résonne encore aujourd’hui.
© Universal Pictures International France
Notre avis : À Compton, quartier chaud de L.A, les gangs font la loi, les fusillades sont fréquentes, la drogue et la violence sont partout. Loin des quartiers huppés de la white class, les habitants de Compton galèrent sans espoir de jours meilleurs. C’est dans ce contexte que naît N.W.A, groupe qui popularisera le gangsta rap en 1986. Le discours est nouveau, direct, et le groupe devient vite le porte-parole d’une frange de la population jusqu’alors invisible, décidée à faire entendre sa voix. « Fuck tha police », morceau phare, résume à lui seul l’envie de se faire entendre, de crier l’injustice, celle de la violence policière du quotidien.
Des membres de N.W.A, trois sont mis en avant dans le film. Et deux sont aujourd’hui des superstars : Dr. Dre et Ice Cube. Le premier est milliardaire depuis le rachat par Apple des casques Beat, le deuxième est principalement devenu acteur, entre films communautaires black et blockbusters - depuis notamment le succès du film Boyz’ N the hood, dans lequel il joue et qui tire son nom de la première chanson de N.W.A. Le troisième, Easy E, leader du groupe, est mort du sida en 1995.
© Universal Pictures International France
Indéniablement, les qualités artistiques de Straight Outta Compton sont nombreuses. Outre une réalisation nerveuse, maîtrisée, et qui fait même parfois des choix surprenants et habiles (des gros plans inattendus, une caméra parfois à l’épaule sur des plans fixes), on se laisse facilement bercer par un récit bien mené et efficace. Les acteurs sont tous parfaits, et certains moments – tout particulièrement les scènes de concerts, saisissantes - arrivent à toucher du bout du doigt ce qu’était la musique de N.W.A.
Straight Outta Compton a pourtant tout du film hollywoodien, avec son schéma très classique : comme dans 8 mile, Dreamgirls, Walk the line ou Ray, les héros partent de rien, doivent surmonter des épreuves, des obstacles, auront des hauts et des bas, des choix à faire, pour arriver au final à atteindre leur but, la richesse et la célébrité. Et comme la plupart de ces films, Straight Outta Compton n’échappe pas aux poncifs du genre. Les clichés sont nombreux, certaines scènes tire-larmes, les flics, les officiels, et plus globalement, les ennemis, très méchants. Les héros doivent être appréciés du public, avoir une morale, un sens de la famille, un code d’honneur. L’American dream tourne à plein régime, la success story, courue d’avance. Le pauvre deviendra riche, l’inconnu, célèbre. Les faibles – ici Easy E, leader du groupe - n’ont pas leur place. Le rappeur, celui qui dans le film s’est laissé bercer par le chant des sirènes, celui de la richesse, meurt du sida. Pas sûr que si l’artiste avait été toujours en vie, son portrait eût été le même. Et c’est bien là le problème : coproduit et contrôlé par Dr. Dre et Ice Cube, le film est un long (2h27) discours à leur gloire. Car à Hollywood, les salauds ne deviennent jamais des stars. Leur vie en devient un exemple à suivre : un talent artistique indiscutable, un caractère héroïque qui déjoue tous les pièges de la célébrité – ou presque – grâce à un esprit sain et pur, et une personnalité quasi divine. Tels Jésus, les deux rappeurs étaient de jeunes innocents dans un monde de violence, qui montrèrent le chemin à un peuple jusqu’ici trop faible. Un parfait objet marketing pour l’accès à la postérité d’un groupe de rap qui au départ n’en demandait pas tant. N.W.A, groupe qui avait de vraies choses à dire, de vraies convictions, ne devient ici qu’un prétexte pour flatter l’égo de ses membres.
© Universal Pictures International France
Peut-on faire un film qui entre en plein dans le système, très hollywoodien dans son propos comme dans son traitement (et qui récoltera peut être même quelques nominations aux Oscars) tout en parlant honnêtement de gangsta rap, musique antisystème par excellence ? L’entreprise aurait pu être possible si elle devenait un moyen d’infiltration, avancer déguisé en utilisant les codes habituels du biopic pour arriver à ses fins. Mais par manque d’audace, le film passe même à côté de la portée politique qu’il aurait rêvé avoir par moment. Les scènes de confrontations avec la police font naturellement écho à Ferguson, mais n’iront pas plus loin. Las, Straight Outta Compton n’est finalement qu’un joli conte de fées parlant de rap, un doux agneau, loin du chien enragé qu’il aurait dû être.
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EXEGETE 29 octobre 2016
N.W.A Straight outta Compton - la critique du film
Salut,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre critique de "Straight outta Compton" et je suis un peu amusé de certaines de vos saillies. Bien que vous reconnaissiez au film quelques qualités vous semblez reprocher à Dr Dre et Ice Cube (Les producteurs) de s’en être sortis et de vendre du poncif hollywoodien indigeste qui est loin de la réalité du gangsta rap qu’ils ont incarné. Oui et alors ? Où est le problème ? Si c’est de s’en être sorti et d’édulcorer la réalité qu’ils ont vécu dans leurs chairs, qui les en blâmerait et pourquoi ? Qu’est-ce qu’une portée politique aurait ajouté au film alors qu’elle n’est que périphérique au propos. Pourquoi vouloir donner des dimensions que le film lui même effleure à peine et ne prétend pas avoir ? Vous dites : "N.W.A, groupe qui avait de vraies choses à dire, de vraies convictions, ne devient ici qu’un prétexte pour flatter l’égo de ses membres." Ce qu’ils avaient à dire ils l’ont dit dans leurs disques et tout à fait entre nous, ne surestimons pas les "vraies choses à dire" et les "vraies convictions" de jeunes noirs américains de Compton dans les années 80 et 90. A part sortir de la promiscuité des ghettos et percer je ne vois pas la masse critique ou la doctrine éclairée qu’il faudrait leur prêter. NWA n’est pas Public Enemy qui avait, pour le coup, une démarche politique et militante assez structurée. Quand à l’inflation de l’égo que vous pointez, j’aimerai bien savoir en quoi cela constitue une tare insurmontable qu’on ne saurait mettre en perspective ? Ce qu’ils ont accompli leur appartient, leur réussite n’a pas été usurpée, ce ne sont pas de sombres imposteurs pistonnés et injustement adoubés. Et puis, la morale que vous réprouvez tant, à savoir qu’on peut partir de rien et réussir, doit servir d’exemple à une communauté noire américaine ostracisée par tellement de maux. J’attends de voir ce que pourrait valoir un film de Mathieu Kassovitz sur NTM ou un biopic d’Olivier Cachin sur IAM. Evidemment vous m’arguerez que votre objectivité sera inébranlablement la même.Dans tous les cas bien à vous et bonne continuation.