Une Femme d’extérieur
Le 27 août 2015
Prix du Jury au Festival du film d’animation d’Annecy 2015, Miss Hokusai confirme tout le raffinement et l’élégance de Keiichi Hara (Un été avec Coo, Colorful). Mais reste, malgré sa dimension féministe de bon aloi, à distance des chefs-d’œuvre de la catégorie...
- Réalisateur : Keiichi Hara
- Acteurs : Kumiko Asô, Yutaka Matsushige, Anne Watanabe
- Genre : Animation, Historique, Manga
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h33mn
- Titre original : Sarusuberi: Miss Hokusai
- Date de sortie : 2 septembre 2015
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Année de production : 2015
Prix du Jury au Festival du film d’animation d’Annecy 2015, Miss Hokusai confirme tout le raffinement et l’élégance de Keiichi Hara (Un été avec Coo, Colorful). Mais reste, malgré sa dimension féministe de bon aloi, à distance des chefs-d’œuvre de la catégorie...
L’argument : En 1814, Hokusai est un peintre reconnu dans tout le Japon. Il réside avec sa fille O-Ei dans la ville d’Edo (l’actuelle Tokyo), enfermé la plupart du temps dans un lugubre atelier aux allures de taudis. Le "fou du dessin", comme il se plaisait lui-même à se nommer, et sa fille réalisent à quatre mains des œuvres aujourd’hui célèbres dans le monde entier. O-Ei, jeune femme indépendante et éprise de liberté, contribue dans l’ombre de son père à cette incroyable saga artistique.
Notre avis : Lentement mais surement, le cinéaste Keiichi Hara creuse son sillon dans le manga contemporain. Après deux longs métrages assez réussis (Un été avec Coo, Colorful) consacrés à l’intrusion du fantastique dans le quotidien, Miss Hokusai perpétue la tradition des animés japonais, à nouveau entre tradition et modernité. Or, quoi de mieux qu’évoquer pour cela l’avant-gardisme du célébrissime Katsushika Hokusai, "vieux fou de dessin" dont les œuvres – telle que La Grande Vague de Kanagawa – influencèrent Gauguin, Van Gogh, Monet ou Sisley.
Plutôt que de se focaliser sur le parcours d’Hokusai père, Keiichi Hara a choisi comme personnage principal la fille du maître, O-Ei. Déjouant ainsi les pièges du biopic hagiographique, Miss Hokusai s’apparente à un portrait de la ville nouvelle d’Edo (Tokyo) aux prémisses du XIXème siècle. Mieux : le film sécrète en filigrane un véritable manifeste féministe. Sans cesse placée au centre des plans, notamment lorsque quelques-unes des principales estampes d’Hokusai s’animent sous nos yeux, O-Ei renvoie le père, philosophe mais insipide, au rang de protagoniste secondaire. Dotée d’un caractère bien trempé, la jeune femme peint à la place de son père, administre les relations d’affaires avec ses mécènes, refuse le mariage et réalise des estampes érotiques au même titre que les hommes. Seul son rapport au monde, encore trop chaste aux dires de son père, priverait ses dessins du caractère érotique duquel ils se réclament. Qu’importe : c’est aussi elle qui s’occupe obstinément de sa petite sœur, aveugle mais sensible à la moindre pulsation du monde alentour.
Mais Keiichi Hara se montre peut-être aussi un peu trop ambitieux, avec Miss Hokusai. Car non content de dépeindre la marginalité des artistes dans le Japon du début XIXe, ce dernier prétend aussi donner à voir une période charnière de l’histoire dense du pays du Soleil levant. De plus, la multiplicité des scènes est telle que l’on passe du réalisme le plus sensible au fantastique pur d’un battement de cils. Rêves et cauchemars s’entremêlent avec le réel – c’est que les estampes non peaufinées ou mal terminées produisent hantises et hallucinations chez leurs propriétaires. L’on pense à Histoires de fantômes chinois, de Tsui Hark. S’ajoutent à cela les portraits tous plus iconoclastes les uns que les autres des personnages de l’entourage de maître Hokusai. Un enchevêtrement de situations un peu périlleux, qui frise parfois le décousu. Mais cette limitation ne serait-elle pas au fond inhérente à la complexité d’adapter Sarusuberi, le manga d’Hinako Sugiura ? Qu’importe : ce patchwork plus ou moins mal dégrossi s’avère tour à tour drôle et poignant.
Sans jamais atteindre la finesse d’un Miyazaki, d’un Takahata ou d’un Hosoda, qu’il s’agisse de scénario ou d’animation, Keiichi Hara n’en démérite pas pour autant. D’abord parce qu’il ne dispose pas du même budget que ses illustres collègues des studios Ghibli et Chizu, même ici avec les producteurs de Ghost in the Shell et L’Île de Giovanni. Mais aussi parce qu’il manie parfois admirablement l’art du contrepoint. Lors de la scène d’exposition sur le pont surplombant la rivière Sumida, Edo, splendide, se donne à contempler sur un fond musical quelque part entre les Rolling Stones et les Gun’s n Roses. Une façon pour Hara d’inscrire son film dans l’intemporel, de tisser un lien entre tradition et modernité - sa principale obsession. Sans doute les plus beaux moments de Miss Hokusai sont-ils ceux où O-Ei accompagne sa sœur dans le cœur de la ville, en pleine effervescence, dans les artères enneigées hantées par le silence, ou encore lorsqu’elles veillent ensemble dans l’impassibilité de la nuit. Aussi, difficile de ne pas se montrer admiratif devant les inserts utilisés pour illustrer les conseils prodigués par Hokusai à ses disciples, lorsqu’il est question de dessin. Des instants de grâce qui prouvent à nouveau la maturité et le caractère prometteur de son auteur.
Reste qu’avant de devenir à son tour l’un des grands noms du cinéma d’animation, Keiichi Hara devra s’émanciper des quelques poncifs déjà observés dans Un été avec Coo et Colorful, telle cette naïveté tenace parfois teintée de mièvrerie. Mais patience, car la capacité du cinéaste à donner vie à toute humanité laisse présager le meilleur. Gageons enfin qu’il gagne en maîtrise technique, pour se rapprocher davantage encore d’Isao Takahata, décidément son maître à penser.
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