Un pour tous, tous pour un
Le 31 janvier 2024
Pierre angulaire de tout un pan du cinéma d’aventure, le chef-d’œuvre d’Akira Kurosawa a posé les bases narratives du divertissement moderne via un dur récit humain et lyrique.
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Minoru Chiaki, Eijirō Tōno, Isao Kimura, Kamatari Fujiwara, Daisuke Katō, Yoshio Tsuchiya , Kichijirō Ueda
- Genre : Drame, Aventures, Action, Historique, Noir et blanc, Drame historique, Film culte
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 3h27mn
- Reprise: 10 juillet 2013
- Titre original : Shichinin no samurai
- Date de sortie : 30 novembre 1955
- Festival : Festival de Cannes 2024, Festival de Venise 1954
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– Festival de Cannes 2024 : Sélection officielle, Cannes Classics
Résumé : Au Moyen Âge , la tranquillité d’un petit village japonais est troublée par les attaques répétées d’une bande de pillards. Sept samouraïs sans maître acceptent de défendre les paysans impuissants.
Critique : Non content d’avoir révolutionné l’approche du montage avec Rashômon, ou d’avoir grandement inspiré Star Wars avec La Forteresse Cachée, Kurosawa est un cinéaste qui a bouleversé l’histoire du cinéma mais en a également écrit une partie des codes. Des codes dont l’évidence et l’utilité sont parfaitement établis aujourd’hui mais qui frappent toujours par leur simple brillance au visionnage des Sept Samouraïs, l’œuvre la plus connue du maître. À peine âgé d’un demi-siècle en 1954, le cinéma en tant que médium narratif était encore à la recherche de ses règles dramaturgiques définitives. Kurosawa, dans la droite lignée d’un Orson Welles avec Citizen Kane, sera l’un des cinéastes les plus importants dans la perfection du langage cinématographique instauré par ses prédécesseurs et ce film est sa pierre de Rosette. Comme beaucoup de chefs-d’œuvre de cette importance, le long-métrage qui nous intéresse est né dans le douleur. Tourné de manière chaotique sur plus d’un an dans des conditions déplorables et avec un budget imposant pour l’époque, le film sort en 1954 (un bonne année pour le studio Toho, qui sort également Godzilla) et sera bafoué au fil des ans par différents montages. Le résultat est pourtant béni et pose des bases qui seront reprises par moult descendants.
- © Toho Company / La Rabbia / Le Pacte
Écrit en quelques semaines et modifié à la dernière minute pour intégrer le personnage de Kikuchiyo interprété par le fou Toshiro Mifune, le scénario propose un fond mythologique destiné à être réinterprété éternellement. Dès les premières secondes d’un film qui dure pourtant plus de trois heures, la menace est posée de manière simple et inéluctable : un groupe de bandits va dépecer un village de fermiers de tous leurs biens après la prochaine moisson. Le compte à rebours a déjà commencé vers la confrontation finale. Puis vient l’introduction du samouraï en chef, interprété par le génial Takashi Shimura, un habitué de Kurosawa également présent au générique de Godzilla. Son entrée dans le film se fait via une scène d’action sans lien avec le récit principal, qui établit son caractère et démontre son humanisme et son refus des traditions. Comme le souligne le critique Roger Ebert, ce type d’introduction deviendra un passage obligé pour tout héros de film d’action. Chaque samouraï est introduit avec ce même souci d’iconographie qui établit leur caractère en quelques plans souvent silencieux. Puis vient la formation de l’équipe, les fortifications et l’entraînement des villageois, l’histoire d’amour interdite et bien sûr, la confrontation finale brutale qui demandera de nombreux sacrifices. Un schéma narratif vu et revu depuis, des Sept Mercenaires à une grande partie de l’œuvre de Sam Peckinpah, jusque chez Tarantino ou même dans des dizaines de jeux-vidéos. Et si Kurosawa n’a certainement pas tout inventé, il interprète et pose ces codes avec une telle clarté que Les Sept Samouraïs éblouit toujours par sa nouveauté.
- © Toho Company / La Rabbia / Le Pacte
Formellement, le film est également en avance sur son temps et son magnifique noir et blanc est son seul renvoi à un passé lointain. Le dispositif filmique de Kurosawa respire l’innovation : des mouvements de caméra vifs durant les combats brutaux sous la pluie, jusqu’à l’utilisation révolutionnaire de ralentis (une fois de plus, Peckinpah en a pris de la graine), utilisés avec une parcimonie extrême mais avec une brillance esthétique parfaitement iconique. Qui peut oublier le premier duel de Kyuzo (Seiji Miyaguchi), qui dure une poignée de secondes et se termine par son adversaire chutant au ralenti tandis que notre samouraï reste parfaitement immobile. Un cliché délectable qui se retrouvera copié dans une infinité de films de sabre et de westerns. Les cadres exagérés et le montage frénétique des scènes d’action finales sont complétés par la bande originale entêtante de Fumio Hayasaka, fréquent collaborateur de Kurosawa. Ses tambours envoûtants posent le suspense avant les batailles, tandis que des chants gutturaux soulignent la détresse des villageois. Le compositeur emploie une armada d’instruments et de styles pour compléter la narration éclatée de son réalisateur. Toute l’équipe du film a fait preuve de brillance dans son travail. La reconstitution du Japon féodal frappe par son authenticité, un village a d’ailleurs été entièrement bâti pour le tournage dans la campagne japonaise, Kurosawa refusant catégoriquement les propositions de la Toho qui souhaitait tourner le film en studio. Le résultat n’en est que plus frappant. Le combat final, tourné dans des conditions impossibles par une bande d’acteurs et de cascadeurs fous qui bondissent de toutes parts dans le sang et la boue, reste un modèle de sauvagerie cinématographique. Le massacre en règle des bandits par les villageois (qui les surpassent allègrement en nombre) est un retournement de situation pour le moins choquant.
- © Toho Company / La Rabbia / Le Pacte
Paradoxalement, ce qui rend Les Sept Samouraïs si spécial et lui donne toute son âme, ce n’est pas ses innovations visuelles et narratives, c’est bien évidemment la personnalité d’Akira Kurosawa. Malgré la noirceur du récit, ce dernier reste un grand cinéaste humaniste et ce film est un rappel des idéaux qu’il aura défendus durant toute sa filmographie. Des idéaux souvent contraires à la pensée japonaise. Car si la reconstitution historique impressionne par son authenticité, le cœur du récit est profondément anticonformiste et il est peu probable que de tels événements se soient réellement déroulés dans le Japon féodal. Les sept samouraïs du titre n’en sont pas vraiment, ce sont pour la plupart des rônins, des samouraïs sans maîtres. Kikuchiyo (Mifune) se révèle même être né fermier et n’est samouraï que parce qu’il en a décidé ainsi. Le chef du groupe bafouille son honneur dès son introduction en se coupant les cheveux pour se déguiser et sauver un enfant d’une classe inférieure. Quant à l’histoire d’amour centrale du film, elle trangresse également la séparation des classes. À travers ses personnages, le cinéaste lance un appel de tolérance à son audience japonaise des années 50. Finalement, c’est ce fond idéaliste qui fait vraiment du film une œuvre maîtresse de Kurosawa et qui lui permet de rester si moderne aujourd’hui. C’est un appel au changement pour un Japon alors toujours sous la coupe américaine et sous le choc nucléaire. Pierre de rosette fondamentale par laquelle nous pouvons déchiffrer notre cinéma moderne, Les Sept Samouraïs impressionne toujours par ses inventions formelles et narratives mais c’est pourtant l’humanisme sans faille de Kurosawa et l’énergie bondissante de Toshire Mifune qui en font le monument qu’il est aujourd’hui, qui trône avec une confiante modestie au sommet des récits épiques du septième art.
– Lion d’argent à la Mostra de Venise en 1954
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