Le 26 octobre 2016
Imamura signe une œuvre forte, intrigante en ce qu’elle ne cesse de se dérober à nos attentes.
- Réalisateur : Shohei Imamura
- Acteurs : Rentarô Mikuni, Yasuko Matsui, Choichiro Kawarazaki, Kazuo Kitamura, Hideko Okiyama
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Mary-X Distribution
- Editeur vidéo : Elephant Films
- Durée : 2h50mn
- Reprise: 15 août 2018
- Titre original : Kamigami no Fukaki Yokubo
- Date de sortie : 21 mars 1990
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– Sortie Blu-ray : le 15 novembre 2016
– Année de production : 1968
Résumé : Les habitants de l’ile de Kurage vivent selon les coutumes traditionnelles et croient toujours a la légende selon laquelle le dieu du frère et de la sœur créa leur île au milieu de la mer de Chine. "Profond Désir des dieux" raconte l’histoire de Nikichi qui aima sa sœur Uma. Il fut puni par son père qui l’enchaîna à un rocher. Les années passent, le frère et la sœur se retrouvent. Mais l’amant d’Uma, le chef de l’ile, est retrouvé mort. Les habitants, convaincus de la culpabilité de Nekichi, les tuent. Cinq ans plus tard, des touristes innocents envahissent l’île.
Notre avis : Telle l’anguille qui valut à Imamura une seconde palme d’or, ce film, étrange et peu aimable, ne cesse de se dérober au cours de sa vision, semblant hésiter entre divers tons, genres ou esthétiques. À peine a-t-on saisi une constante ou un angle que le cinéaste les fait évoluer et Le profond désir des dieux échappe à toute classification, en même temps, et c’est heureux, qu’il ne cesse de surprendre. Certes, on trouvera quelques marques très nettes : le regard sur les sociétés traditionnelles japonaises (que l’on retrouvera dans La ballade de Narayama, première palme d’or du réalisateur) en est une. Et a priori, c’est bien un regard d’anthropologue posé sur ce petit peuple vivant de légendes et de superstitions qui constitue l’essence du film. A priori, car on se demande toujours s’il y a objectivité « scientifique » ou jugement moral, voire même réinvention scénaristique. N’étant pas spécialiste des traditions asiatiques, nous ne sommes évidemment pas à même de juger la véracité des coutumes ; la mise en scène, qui évite les gros plans, le montage jusqu’au plan-séquence, semble viser la mise à distance du savant. Mais, à y voir de plus près, le cadrage choisi ne cesse de démentir ce propos : souvent Imamura fait tenir ses personnages dans un plan fixe et un environnement très malcommode ; dès le pré-générique, les espaces sont clos, géographiquement mal définis, et toujours emprisonnant. La suite ne cessera de les enfermer, que ce soit dans une fosse ou dans des intérieurs emplis d’obstacles visuels (les poutres en particulier sont l’équivalent intérieur des troncs omniprésents en extérieur) ; c’est que, on s’en doute, le prétendu regard scientifique, qui serait celui de l’ingénieur, par exemple, prend eau de toute part. Les croyances sont mal définies (un personnage dit que la procession « est contre les insectes … je crois », le frère à la fin ne comprend pas que les masques viennent le tuer), et semblent davantage porter le fardeau du Japon des années 60, entre culpabilité et fuite dans le travail fût-il absurde qu’hériter de traditions fixes. C’est pourquoi on regarde les croyances affichées (la forêt sacrée, la possession, le fantôme du grand-père comme un livre d’images auquel Imamura fait un sort esthétique.
Mais évidemment toute la fin va jouer avec nos certitudes : les traditions semblent inoffensives ? Il y aura meurtre rituel . Elles semblent dissoutes par le progrès et le tourisme ? Les dernières séquences en cultiveront l’ambiguïté, aussi bien dans les dialogues qu’ à l’image. Bref, de quelque côté qu’on se place, le film ne cesse de dénier nos attentes et d’évoluer différemment. Pourtant le choix du plan fixe, majoritaire, donne un aspect figé qui semble s’accorder aux survivances tribales. Mais là encore, Imamura privilégie des cadrages curieux, qui peuvent faire le point sur un accessoire (une lampe au plafond, par exemple) et laisser flous les personnages ou les obliger à se contorsionner pour y entrer ; il questionne sa fiction, réfléchit sur la monstration et le frustration. Dans ce film plein de sexe et de pulsions, l’érotisme est d’ailleurs sans cesse contenu, déplacé (l’oreille qui démange) ou caricatural (les baisers goulus des masques comme des protagonistes).
On le voit, Le profond désir des dieux échappe à toute classification, comme à toute réduction. Il prend l’apparence d’une vision anthropologique, refuse l’élégie ou le rousseauisme facile mais au fond, on ne sait pas de quoi il parle : on pourrait soutenir qu’il enregistre la victoire de la modernité sur un Japon animiste et borné – le choix d’une famille incestueuse comme représentative de cette société le laisserait à penser si ces « monstres » en étaient vraiment. Mais on peut y voir également une métaphore d’un pays rongé par le remords, exécutant sans fin des tâches absurdes qu’on se repasse de génération en génération comme un poids « sisyphien ». Ou y décerner un règlement de comptes avec la fiction traditionnelle (les amants maudits, tirés de Mizoguchi, deviennent des frère et sœur) ; ou la recherche d’un cinéaste qui ne cesse de questionner son art et qui, partant d’un scénario très construit où l’on multiplie les échos (par exemple les pièges en forme de trou, ou les deux attaques de requin), le dénature par des ajouts curieux qui agissent comme autant de mises à distances (les filtres de couleur).
Toutes ces hypothèses, qui ne se contredisent évidemment pas, n’épuisent pas la richesse d’une œuvre proliférante, peut-être panthéiste (voire la multiplication de plans sur des animaux), traversée de ruptures, et constamment maîtrisée. Car Imamura conserve dans certains plans une force classique peu commune : on songe entre autres aux masques dans les pirogues, menaçants quand ils se préparent au meurtre rituel, aussi tristes que sanglants quand celui-ci est achevé. De même les premières séquences excellent-elles à créer une atmosphère poisseuse, humide et étouffante.
En dernière analyse, Le profond désir des dieux nous semble rejoindre les grandes œuvres qui, comme le Tabou de Murnau, regardent un monde clos et ritualisé pour parler de notre condition. L’inceste, le chamanisme, ne sont que des masques qui trouvent leur équivalent dans nos croyances à nous, moins directement perceptibles, mais dont Imamura se moque à la toute fin. Nous sommes bien ces êtres enchaînés, ridicules, constamment sous le regard et le jugement des autres. Ces personnages mus par des pulsions, inconséquents, prêts à suivre tous les mouvements, c’est nous tout crachés. Et ce que le cinéaste nous donne à voir, dans cette fresque intimiste parsemée de bizarreries, c’est un miroir à peine déformant mais infiniment juste. Et cette justesse elle-même vaut, sinon condamnation, nous ne sommes pas dans une œuvre moralisante, mais au moins questionnement pessimiste.
Les suppléments :
En dehors des bandes-annonces et galerie photos, le Blu-ray propose une introduction par Stephen Sarrazin : un peu courte (8 minutes 30), elle a le mérite de définir les enjeux du film avec finesse.
L’image :
En dehors de quelques plans nocturnes affectés d’un voile gris, la copie restaurée est de toute beauté et met en valeur les recherches visuelles du cinéaste.
Le son :
Il n’y a pas de version française ; la seule piste existante est débarrassée de tout souffle ou parasite ; on sent par moments de légères stridences, mais là encore la restauration redonne toute sa vigueur aux dialogues comme à la rare musique.
Galerie Photos
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