La prisonnière
Le 24 juin 2014
Avec ce huis clos kafkaïen doublé d’une dimension pamphlétaire hautement corrosive, les Elkabetz concluent de façon remarquable leur trilogie de la claustration. Une œuvre minimaliste et saisissante.
- Réalisateurs : Ronit Elkabetz - Shlomi Elkabetz
- Acteurs : Simon Abkarian, Ronit Elkabetz, Sasson Gabai, Menashe Noy, Rami Danon, Roberto Pollak, Keren Mor, Evelin Hagoel, Rubi Porat Shoval
- Genre : Drame, Film de procès
- Nationalité : Israélien, Français, Allemand
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h55mn
- Date télé : 29 novembre 2016 20:55
- Chaîne : Arte
- Titre original : Gett
- Date de sortie : 25 juin 2014
- Festival : Festival de Cannes 2014
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Résumé : Viviane Amsalem demande le divorce depuis trois ans, et son mari, Elisha, le lui refuse. Or en Israël, seuls les rabbins peuvent prononcer un mariage et sa dissolution, qui n’est elle-même possible qu’avec le plein consentement du mari. Sa froide obstination, la détermination de Viviane de lutter pour sa liberté, et le rôle ambigu des juges dessinent les contours d’une procédure où le tragique le dispute à l’absurde, où l’on juge de tout, sauf de la requête initiale.
Critique : Le Procès de Viviane Amsalem clôt une trilogie initiée avec Prendre femme et Les Sept jours. Neuf années se sont écoulées depuis la sortie du premier volet, et pourtant, le sentiment de totale oppression, distillé à la fois par le jeu des acteurs et la mise en scène, est ici plus tenace que jamais. Afin de poursuivre leur topologie de la claustration mentale et physique, les cinéastes Ronit et Shlomi Elkabetz ont cette fois opté pour un huis clos entièrement cloisonné entre quatre murs, ceux d’un tribunal rabbinique exclusivement composé d’hommes, où se jugent les histoires de divorce. Ici, c’est celui de Viviane dont il est question, un divorce qu’elle demande depuis trois années déjà. Malheureusement, sa requête se mue petit à petit en un processus kafkaïen tenant davantage d’un purgatoire que d’un procès en bonne et due forme. Une situation surréaliste qui fait d’ailleurs écho à la toute première séquence de Prendre femme, où Viviane se voyait contrainte, elle qui voulait alors déjà quitter son mari, à la préservation de son foyer.
Au premier abord, le dispositif théâtral mis au point ici par Ronit et Shlomi Elkabetz peut rebuter : pendant deux heures, l’action du film se limite au seul débat animé entre juges et parties. Mais ces soupçons sont très vite balayés par l’intensité de la tragédie à venir, où chaque regard, chaque souffle sont capturés par la caméra sans une once de partialité. Alors qu’il aurait été simple d’oublier le médium en façonnant cet épilogue confiné, le cinéma est immanent dans Le Procès de Viviane Amsalem. Outre ses dialogues au cordeau, le long métrage brille par son système de point de vue – systématiquement celui du personnage qui parle – et la rigueur des cadrages. Et si la qualité de l’interprétation n’est pas en reste, la plus grande force du film réside sans aucun doute dans le portrait sans concession que les Elkabetz dressent en filigrane de leur pays. Une radiographie à travers laquelle l’Israël apparaît tour à tour moderne, puis suranné dès qu’il est question de la condition de la femme, irrémédiablement inféodée au jugement des hommes.
Bouleversante, cette critique ouverte de la politique du divorce dans le mariage religieux israélien capte l’attention du spectateur d’un bout à l’autre sans jamais relâcher son emprise. Ou presque, si l’on excepte ces rares séquences où les réalisateurs cèdent avec une certaine maladresse à l’humour pour détendre l’atmosphère – la faute surtout à quelques témoins un tantinet outranciers. Pour le reste, c’est le personnage de Viviane – splendide Ronit Elkabetz dont le jeu mutique et intense semble tout droit sorti d’un film de John Cassavetes – qui révèle avec force et sans aucun manichéisme toute l’absurdité d’un système judiciaire refusant de reconnaître sa souffrance et celles des femmes en général. Pour mieux oppresser le spectateur, chacune des séquences de cette descente aux enfers se voient entrecoupées d’un petit carton annonçant le temps qui s’est écoulé depuis la dernière audience. Et ainsi passent les mois, les années, sans que Viviane, inextricablement captive, n’obtienne sa liberté. Un tour de passe-passe qui permet de nous garder enfermés tout du long dans cette salle blanche impersonnelle et suffocante.
À l’aide d’une esthétique minimaliste rappelant les plans-séquences sous tension de leurs précédents longs métrages, Ronit et Shlomi Elkabetz posent une nouvelle fois avec finesse la question du bien-fondé de ces traditions archaïques qui se perpétuent encore aujourd’hui en Israël. Si Le Procès de Viviane Amsalem n’est pas exempt de défauts, reste qu’il peaufine avec brio les problématiques déjà évoquées ces dernières années par le frère et la sœur cinéastes. Un bien bel aboutissement.
– Film sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes 2014
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