Shanghai
Le 23 juin 2011
Héritier de Sirk et de Sternberg, Daniel Schmid exalte l’univers kitsch et mortifère du mélodrame dans ce film culte des années 70 dont la sombre beauté bouleverse toujours.

- Réalisateur : Daniel Schmid
- Acteurs : Bulle Ogier, Ingrid Caven, Peter Kern, Peter Chatel, Béatrice Stoll
- Genre : Mélodrame, Musical
- Nationalité : Suisse
- Date de sortie : 28 août 1974
- Plus d'informations : http://www.daniel-schmid.com/1_home...
- Festival : Hommage à Renato Berta

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– Durée : 1h47 mn
Héritier de Sirk et de Sternberg, Daniel Schmid exalte l’univers kitsch et mortifère du mélodrame dans ce film culte des années 70 dont la sombre beauté bouleverse toujours.
L’argument : Viola Schlump, dite la Paloma, égrène de vieilles complaintes pour fêtards attardés, dans un casino. Malade et condamnée, elle se résigne à accepter l’amour du comte Palewski. Mais elle prend pour amant un ami du comte, Raoul, qui refuse de l’emmener, faute d’argent. Elle meurt. Dans une boîte de nuit, le comte, saisi par "la Force de l’Imagination", se souvient.
Notre avis :
Amateur (et metteur en scène) d’opéra, admirateur de Douglas Sirk à qui il consacra un documentaire en 1983, Daniel Schmid est proche à la fois de Fassbinder, dont il adapta une des pièces dans L’ombre des anges, et de Schroeter avec qui il partage bien plus que l’amour éperdu pour Maria Callas.
Il avait déjà récolté une ample moisson de prix dans divers festivals avec son deuxième film, le magnifique Heute Nacht oder nie - Cette nuit ou jamais (1972), lorsqu’en 1974 il présenta La Paloma à Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique. Le film allait rapidement acquérir un statut culte et demeure sans doute le plus célébré de son auteur.
Comme Flocons d’or (de Schroeter), La Paloma fait revivre l’univers du mélodrame, entre opéra et roman de gare, en déroulant les stations d’un roman photo et en célébrant les clichés tout en dévoilant leur caractère factice, voire ridicule, et en les mettant à l’épreuve d’une certaine crudité naturaliste dans la meilleure tradition baroque.
Il y a indiscutablement une forme de distanciation à l’oeuvre dans les citations décalées (Bulle Ogier en mère noble affublée d’une canne ou au volant de sa décapotable de luxe) ou délibérément grotesques (les cris de Peter Kern lorsqu’il dépèce le cadavre de Viola comme dans un film d’horreur à deux sous).
Mais Schmid refuse les facilités du second degré ou de la dénonciation. Comme il le disait lui-même dans un entretien (à La Croix du 1. juin 1974) : c’est aussi un film social, comme l’est tout affrontement de deux personnages issus de milieux différents. Mais ce n’était pas mon propos. Je voulais faire un film ouvert à toutes les interprétations, un peu comme une auberge espagnole où l’on apporte ce que l’on veut y trouver. Pour les uns, ce peut n’être qu’un simple délire d’amour ; pour d’autres, la rupture d’un équilibre ou même la conclusion logique à un combat inégal.
Le monde de La Paloma, entre pailletes et réveil brutal, s’inscrit dignement dans l’héritage de Sternberg : le cabaret évoque L’ange bleu, la salle de jeu, avec son joueur malchanceux qui se tire une balle au coeur sous l’oeil impassible de la patronne, semble sorti tout droit de Shanghai Gesture et la scène du train de Shanghai Express. Quand à Ingrid Caven, elle est un Marlene camp absolument fascinante. La lancinante chanson (Shanghai !), interprétée trois fois dans le film, deviendra un des tubes de ses tours de chant.
Mais c’est du Sang d’un poète de Cocteau que vient le travesti narquois (Jérôme-Olivier Nicolin alias Belle de May), qui représente La Force de l’imagination sur l’air Psyche wandelt in Säulenhallen (Die toten Augen d’Eugène d’Albert), alors que Kern et Caven bougent les lèvres sur l’irrésistible duo Glück, das mir verblieb, extrait de l’opéra Die tote Stadt de Korngold, dans la scène emblématique du film qui les montre, en voyage de noces, irradiant un fragile bonheur conjugal devant un paysage alpestre de carte postale.
Ces musiques d’un raffinement exquis mais tendant la corde sentimentale jusqu’à la rompre participent, tout comme les arrangements envoutants de Peer Raaben et la magnifique Photo de Renato Berta, de la magie de cette Paloma qui reste un des films les plus stupéfiants des années 70 et un des chefs-d’oeuvres de Daniel Schmid.