Il était une fois la révolution
Le 4 mai 2011
Que ceux qui ont sifflé Béla Tarr lors de la projection cannoise (et ils étaient
nombreux) se rassurent : il ne les aime pas non plus.
- Réalisateur : Béla Tarr
- Acteurs : Tilda Swinton, Miroslav Krobot
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique, Français, Allemand, Hongrois
- Durée : 2h12mn
- Titre original : The Man from London
- Date de sortie : 24 septembre 2008
- Festival : Festival de Cannes 2007, Sélection officielle Cannes 2007 (en compétition)
Béla Tarr est un génie. Comme ses autres films (parfaits), L’Homme de Londres, adaptation malade d’un roman de Georges Simenon, est un chef-d’oeuvre d’intelligence et de sensibilité, proche de l’extase.
L’argument : Une nuit, un aiguilleur travaillant dans une gare en bord de mer et située près du port des ferry, est le témoin d’un terrible événement. Deux silhouettes sur les docks se battent et la plus petite finit par tomber à l’eau puis couler...
Notre avis : Certains fans de Béla Tarr risquent de trouver quelques défauts majeurs à son dernier film, construit dans la douleur mais aussi la croyance en un art de tous les possibles, sous prétexte que son tournage a connu des anicroches (dont le suicide du producteur Humbert Balzan). Or, ce serait tomber dans un piège de penser que tous les films de ce génie Hongrois sont dissociables les uns des autres. En réalité, et ce depuis qu’il a commencé le cinéma à la fin des années 70, toutes ses oeuvres ne forment qu’un long plan-séquence testamentaire pour le jour où tout sera détruit. Dans chacun d’entre eux, il exprime à travers une esthétique et une histoire différentes les mêmes angoisses (la fin du monde, la socialisation sur le point de craqueler, la bestialité des hommes, la cupidité qui corrompt les relations humaines, le contre-champ abject des existences moroses). Au-delà de la thématique dépressive, ce qui reste remarquable chez lui, c’est la beauté de la mise en scène que ce soit dans les effets subliminaux ou les plans-séquences majestueux. Dans la production cinématographique actuelle, une simple seconde d’un film de Béla Tarr vaut les deux heures de n’importe quel block-buster. Ce n’est pas du snobisme ; juste une réalité : il faut être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir à quel point les huit films de Béla Tarr atteignent tous un état de sidération et peuvent prétendre à bouleverser le parcours de n’importe quel cinéphile.
Dans L’homme de Londres, il suffit d’un panoramique d’une lenteur sidérante sur la coque d’un paquebot en guise d’introduction pour reconnaître le style du cinéaste Hongrois en accord avec l’horloge de ses personnages et le rythme de la vie. Après un premier plan-séquence d’environ vingt minutes, Béla ne filmera que des visages transcendés, des regards perdus, des dialogues de sourd. La bande-son de Mihály Vig, compositeur habituel du cinéaste, met en valeur avec discrétion une lente agonie collective. Du roman de Simenon, Tarr n’a conservé qu’une essence délétère pour organiser une illustration personnelle (visuelle et sonore) d’un enfer proche des cercles de Dante où l’argent détruit tous les idéaux humains. Les personnages évoluent dans un espace-temps unique qui abroge toute liberté individuelle et traînent un ennui lourd, en attendant la flamme qui pourra les ranimer. Lors de sa présentation au festival de Cannes il y a plus d’un an, cette merveille a été accueillie dans une ambiance glaciale sous les sifflements et les quolibets de journalistes plein de morgue. Qu’ils se rassurent : Béla Tarr ne les aime pas non plus. Il ne travaille pas pour eux, de toute façon. Son art ne s’adresse qu’à ceux qui pensent que le cinéma est une affaire de vie ou de mort. Que ce cinéma-là doit prendre son temps pour faire pénétrer le spectateur dans une bulle de ressassement. Comme si c’était la toute dernière fois qu’il vivait. Dernièrement, le réalisateur des Harmonies Werckmeister confiait en interview qu’il ne ferait plus qu’un film après L’homme de Londres et arrêterait le cinéma ensuite, reconnaissant humblement avoir fait le tour de sa capacité à inventer des formes nouvelles mais aussi par forme de désespoir. "Les spectateurs n’ont aujourd’hui plus envie de ce cinéma-là", assène-t-il avec lucidité. Triste époque, non ?
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Norman06 29 avril 2009
L’homme de Londres - la critique
Cette adaptation de Simenon, essentiellement composée de plans séquences interminables et de longs travellings, a certes une cohérence stylistique et reste fidèle à l’univers sombre et morbide de l’écrivain. Fallait-il pour autant présenter une telle vision glauque, et infliger ce hiératisme glacial ? On sauvera un beau plan de larmes féminines et le jeu sensible de Tilda Swinton, doublée en hongrois. Ce cinéma faussement moderne (n’est pas Angelopoulos qui veut) tient cependant davantage du pensum que de la création. Il a mis près de deux à sortir en salles. Vous voilà prévenus...