Lutte des classes glaçante
Le 7 mars 2012
Avec Elena, Andrei Zviaguintsev nous offre à nouveau une œuvre formellement remarquable en plus d’être effrayante sur le fond.
- Réalisateur : Andreï Zviaguintsev
- Acteurs : Nadezhda Markina, Andrei Smirnov, Elena Lyadova
- Genre : Drame
- Nationalité : Russe
- Durée : 1h49mn
- Date de sortie : 7 mars 2012
- Festival : Festival de Cannes 2011
Prix Spécial du Jury - Festival de Cannes - Un Certain Regard
Avec Elena, Andrei Zviaguintsev nous offre à nouveau une œuvre formellement remarquable en plus d’être effrayante sur le fond.
L’argument : Elena et Vladimir forment un couple d’un certain âge. Ils sont issus de milieux sociaux différents. Vladimir est un homme riche et froid, Elena une femme modeste et docile. Ils se sont rencontrés tard dans la vie et chacun a un enfant d’un précédent mariage.
Le fils d’Elena, au chômage, ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa propre famille et demande sans cesse de l’argent à sa mère. La fille de Vladimir est une jeune femme négligente, un peu bohème, qui maintient son père à distance.
Suite à un malaise cardiaque, Vladimir est hospitalisé. A la clinique, il réalise qu’il pourrait mourir prochainement. Un moment bref mais tendre partagé avec sa fille le conduit à une décision importante : c’est elle qui héritera de toute sa fortune. De retour à la maison, Vladimir l’annonce à Elena. Celle-ci voit soudain s’effondrer tout espoir d’aider financièrement son fils.
La femme au foyer timide et soumise élabore alors un plan pour offrir à son fils et ses petits-enfants une vraie chance dans la vie.
Notre avis : Elena est une ancienne infirmière qui a épousé (d’un second mariage) un riche vieil homme. Elle vit dans une immense demeure alors que son fils et sa famille habitent dans une cité ouvrière au pied d’une centrale nucléaire. Si elle tente de les aider comme elle peut, elle aimerait en faire plus pour que le deuxième enfant de son fils puisse suivre des études. Son riche mari s’y refuse. Un jour, ce dernier fait une crise cardiaque. Cet accident le fait réfléchir et le pousse à léguer la majorité de sa fortune à sa seule fille. Elena comprend alors qu’elle n’aura jamais plus d’autres opportunités.
Le film d’Andrei Zviaguintsev travaille le spectateur en douceur. Lentement, mais sûrement, à l’aide de très beaux plans séquences, Elena prend le temps de détailler des scènes du quotidien, ce qui n’est pas sans rappeler le chef d’œuvre de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles. Et comme dans ce dernier, quelque chose sourd derrière la banalité des gestes de tous les jours, la musique de Philip Glass enfonçant irrémédiablement le clou. Elena ne laisse ainsi aucun doute quant à son évolution dramatique. Le corbeau du premier plan en atteste même si, en filmant un coucher de soleil, le cinéaste brouille les cartes. Mais ce premier plan prendra finalement toute sa force avec la dernière image qui lui fait évidemment écho puisqu’il s’agit en réalité du même plan.
Mais derrière la lutte des classes évidente, Zviaguintsev va pourtant plus loin (trop loin ?). Certes, Elena pèche parfois par son excès de cynisme, et surprend aussi dans sa manière de mettre finalement sur le même plan les riches et les pauvres (livrant par là-même un constat sans fard du pouvoir de l’argent). Faut-il en déduire des relents de misanthropie de la part du réalisateur russe ? Pas nécessairement. On y verra plutôt le portrait d’une société qui a définitivement abandonné toute morale. Difficile de dire si, derrière sa caméra, qu’il manie toujours aussi bien, Zviaguintsev n’en pense pas moins ou si, au contraire, il n’a toujours pas renoncé au combat…
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Frédéric de Vençay 16 mars 2012
Elena - la critique
Si la mise en scène de Zviaguintsev est d’une virtuosité indéniable, on pourra s’interroger sur la fonction qu’elle revêt dans cet "Elena", objet froid et extrêmement théorique, entièrement voué à l’exposition des conflits de classe de la Russie contemporaine (qu’il ne "règle" pas, ni n’interroge).
Sa description des deux microcosmes riches/pauvres se fait avec une égale cruauté, parfois au bord du cynisme ou de la caricature. On peut aussi ne pas adhérer à cette forme de mépris démiurgique, même si elle témoigne par moments d’une certaine lucidité sur l’être humain.
Conte de la monstruosité ordinaire, un peu appuyé parfois (les lourdes symboliques), "Elena" vaut avant tout pour son élégance formelle, ses blocs atmosphériques délétères et ses nombreux morceaux de bravoure esthétiques.