Spleen postmoderne
Le 8 novembre 2016
Petit ovni cinématographique postmoderne, Creative Control ne tient pas de discours bien neuf sur nos sociétés contemporaines. Sa richesse thématique, bien qu’indiscutable, résulte d’une série d’emprunts un peu trop marqués à des cinéastes de légende. Décryptage.
- Réalisateur : Benjamin Dickinson
- Acteurs : Nora Zehetner, Dan Gill, Benjamin Dickinson, Alexia Rasmussen, Jay Eisenberg
- Genre : Science-fiction
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h37mn
- Titre original : Creative Control
- Date de sortie : 9 novembre 2016
Résumé : New York, dans un futur proche. David, jeune cadre branché, prépare le lancement de lunettes révolutionnaires qui confondent réel et virtuel : la réalité augmentée. Mais lors de la phase test, tout commence à se brouiller entre sa vie publique, privée et imaginaire...
- Copyright : Damned Distribution
Notre avis : Creative Control est une sorte de Manhattan avec des téléphones portables. L’idée de se construire une réalité est une constante du cinéma allenien. Les personnages principaux de ses films tels que La Rose pourpre du Caire ou Midnight in Paris pénètrent bien leurs propres fantasmes, en réaction à l’ennui consubstantiel à leur statut de “privilégié social”. La plupart des scènes de Creative Control se passent dans des lofts lumineux et minimalistes où les personnages vivent et travaillent, loin des réalités du monde extérieur. Les espaces de vie sont aussi antiseptiques et artificiellement lumineux que le studio TV où David travaille sur le tournage d’un spot publicitaire ou que la galerie d’art où Sophie (la femme de son collègue, qu’il aime secrètement) présente ses vêtements. Ainsi l’appartement de Juliette et David est-il lui aussi un espace peu décoré, d’un blanc aveuglant, avec des fenêtres énormes et un balcon dont la vitre est utilisée pour représenter visuellement la séparation émotionnelle entre les deux personnages.
Créativité est le mot clé du film et pour David (interprété par Dickinson, lui-même réalisateur de publicités) les “créatifs” sont l’élite ultime de la société. Pendant la présentation des lunettes Augmenta, il insiste : « plutôt que de parler de ce que la technologie peut faire pour vous, parlons de ce que vous pouvez faire de la technologie ». Son idée est de recruter Reggie Watts, un rappeur et réalisateur qu’il considère comme un génie créatif, de le laisser utiliser le produit et d’utiliser ses expérimentations comme outil promotionnel. Face à ce qu’il voit comme une nouvelle forme d’art, David exulte. Cette valorisation est une autre caractéristique qui transparaît dans les films récents d’Allen dans lesquels tous les personnages sont, si pas des artistes professionnels, des aspirants à l’être. La créativité est indubitablement une affaire d’égo pour David, caractère fade et ramolli en recherche active et désespérée de piment existentiel et professionnel.
- Copyright : Damned Distribution
Dans un communiqué, Dickinson attribue le mérite de la beauté formelle du film au directeur photo, Adam Newport-Berra. Il précise qu’en plus de Manhattan, ils ont tiré beaucoup d’inspiration de la trilogie d’Antonioni ( L’Avventura, La Notte, L’Éclipse) « dans laquelle tout est parfait mais il manque quelque chose ». L’influence de l’imagerie noir et blanc d’Antonioni, de ses personnages détachés et ses espaces arides, se manifeste non seulement sur des réalisateurs tels que Woody Allen ou Dickinson mais aussi sur des spots publicitaires de compagnies pharmaceutiques, précisément ce sur quoi David travaille à côté d’Augmenta. Expressément, les contrastes du noir et blanc sont atténués au maximum pour tirer vers le gris, ce qui est censé renforcer le caractère lisse et aseptisé du monde socio-professionnel décrit.
Cependant, et c’est là que le bât blesse un peu, Creative Control est un film qui, sous couvert des thématiques et motifs qu’il traite (qui ne sont donc pas neufs du tout), s’avère éminemment poseur et prétentieux. En témoignent le soin maniaque apporté à la direction artistique et à l’architecture hypermoderne des lieux, ainsi que le refus de la couleur qui en dernière impression, loin de servir le propos, répond indubitablement aux sirènes de l’estampillé “cachet rétro”, souvent synonyme de stylisation cool, clinquante et gratuite. Le choix de morceaux de musique classique d’anthologie (Mozart, Schubert, Bach), ne fait rien pour arranger les choses. Tout comme le noir et blanc, son instrumentalisation pose question : si elle semble en première instance souligner pertinemment la sensation de flottement et de perte de repères de ces personnages blasés et délétères, son utilisation se mue par la suite en simple volonté de faire passer Creative Control pour un produit plus noble et distingué que ce qu’il est.
- Copyright : Damned Distribution
Certes, les grands axes conceptuels alleniens et antoniniens sont ici traités dans un cadre science-fictionnel inédit, et de ce point de vue, certaines idées de mise en scène à base d’interaction avec des hologrammes et donc de trouble fantasmatique entre réalité et virtualité sont réellement heureuses. Elles dégagent une noirceur drolatique qui constituent en quelque sorte un pendant cynique bienvenu au Her de Spike Jonze avec Joaquin Phoenix. Bien loin de donner une dimension romantique, vibrante et chaleureuse au rapport humain/intelligence artificielle, Dickinson l’érige en support illustratif de la solitude, de l’incommunicabilité (Antonioni, encore) et de la recherche vaine d’accomplissement à travers l’”art” de caractères en complète détresse morale au sein de nos sociétés contemporaines.
L’ambition est louable, mais l’on ne peut s’empêcher, un arrière-goût amer d’inachèvement en bouche, de ne voir au final en Creative Control qu’un film profondément postmoderne dans le sens le plus péjoratif du terme : à savoir en tant que recycleur de figures propres à une histoire antérieure du cinéma, qui combine des éléments épars sans parvenir à leur insuffler une vie nouvelle à l’écran, un vrai parfum d’originalité neuf et rafraîchissant. Prisonnier de ses références et de son background “auteurisants” trop encombrants, Dickinson présente un nouvel avatar du style over substance, avec un objet filmique certes plaisant, divertissant et agréable à l’œil, mais qui échoue précisément à transmettre la sensation de spleen contemporain qu’il décrit. A voir tout de même, donc, mais sans en attendre trop.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
birulune 26 janvier 2018
Creative Control - la critique du film
J’ai pensé à Canyon plutôt en le regardant avec des personnages" ad apetum" ( réduit à leurs appétits, souvent sexuel)et toujours la même pesante envie de se montrer, car le film est tout entier dédié Dickinson. On saura rien de lui a part cette longue chute inexorable qui emmène précisément la où il veut aller:vers lui et c’est tout.
Bon film. Assez chiant pour se donner un petit aspect intello et un fond narratif cadré sur le coté obsessionnel des bobos
Sa copine prof de yoga, son pote artiste et sa team de créatifs forment un panel de la jet set new-yorkaise tordant et jubilatoire.
De vernissage en boite branchée entre deux scènes étouffantes de sa vie au travail ( on pense à Beigbeder 99 francs ou l’Idéal) ce gossbo est un peu un prophète dans le désert par son message franchement suranné:il veut kenne la meuf de son alter-ego masculin et il s’en mord les doigts.
Pour revenir à la similitude avec Canyon, on voit les personnages comme des gosses bloqués psychologiquement au stade anal ( merci Freud) s’entortiller dans leurs propres turpitudes uniquement composées du désir enfantin pugnace qui consiste à vouloir ce que l’autre a et pas nous.
Dans Canyon, Ellis éludait et trahissait en même temps son penchant pervers pour les triangles amoureux. Son double dansle film, un réal homo, suce l’amant de Lindsay Loan alors qu’il est déchiré par le chagrin. Kundera aussi parfois parlait de jalousie dans les couples. Mais jamais de la façon dont les deux jet-setteurs new-yorkais en parle, avec cynisme.
birulune 27 janvier 2018
Creative Control - la critique du film
Ellis est de la west Coast en fait et Dickinson parle surtout du stress au travail et de la libido en berne dans un couple sain et posé. Il est attiré par Sophie avant que son pote mette le grappin dessus et cette gamine de 18 ans est un rayon de soleil dans tout ce stress ambiant.
D’où les lunettes Augmenta.
Il allait pas se montrer en train de se tirer la nouille en pensant à cette aguichante bimbo complètement désinhibée.
Soit