Le temps des moissons
Le 20 novembre 2010
Longtemps considéré comme mineur, le troisième film américain de Murnau nous est restitué dans sa splendeur originelle. Le génie du cinéaste y éclate à chaque plan.
- Réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau
- Acteurs : Mary Duncan, Charles Farrell, Guinn Williams, David Torrence
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Editeur vidéo : Carlotta Films
- Plus d'informations : http://carlottavod.com/film-672-cit...
– Durée : 1h25mn (DVD)
– Durée : 1h29mn (blu-ray)
Longtemps considéré comme mineur, le troisième film américain de Murnau nous est restitué dans sa splendeur originelle. Le génie du cinéaste y éclate à chaque plan.
L’argument : Minnesota, 1929, à la veille de la Grande Dépression. Lem Tustine, un jeune paysan sans expérience, est envoyé à Chicago par son père afin de vendre leur récolte. Dans un snack-bar, il fait la rencontre de Kate, une jeune serveuse excédée de se faire harceler par des clients grossiers. Kate rêve de changer de vie et de fuir à la campagne. Lem se prend d’amitié pour elle et, au moment de repartir, la demande en mariage...
Notre avis : Le troisième film américain de Murnau, après L’aurore - Sunrise et Four devils, est un des grands rescapés de l’histoire du cinéma. Tourné durant l’été et l’automne 1928 dans les studios de la Fox, mais aussi en extérieur à Pendleton/Oregon, Our daily bread vit sa sortie sans cesse repoussée en raison du bouleversement causé par l’arrivée du parlant. En février 1930, alors que Murnau, qui avait rompu à l’amiable son contrat avec William Fox, était en Polynésie pour Tabu, on fit des retakes parlants qui dénaturèrent complètement le film. Cette version sonore fut distribuée à la sauvette aux Etats-Unis sous le titre City girl. En Europe, où de nombreuses salles n’étaient pas encore équipées pour le son, c’est la version muette qui fut le plus largement diffusée. C’est une copie de celle-ci qui fut retrouvée en Allemagne et c’est donc cette version, la plus conforme aux intentions de l’auteur qui, magnifiquement restaurée, est maintenant visible en DVD et en blu-ray.
Le sujet, adapté par Bertold Viertel et Marion Orth d’une pièce de Elliot Lester intitulée The mud turtle, permet à Murnau de développer une nouvelle fois le thème de la relation ville-campagne qui était déjà au coeur de L’aurore.
Si le monde urbain, représenté par un immense fast-food installé en sous-sol, est toujours synonyme d’aliénation, d’agitation vaine et de vulgarité, la fille de la ville est ici un personnage positif, en butte aux préjugés, auquel la mise en scène de Murnau et l’interprétation énergique de Mary Duncan assurent la sympathie du spectateur dans le conflit, d’une rare violence, qui l’oppose à son beau-père, paysan puritain autoritaire et borné qui ne s’humanisera que lorsque, aveuglé par la colère, il aura manqué d’abattre son propre fils.
Contrairement à L’aurore qui, entièrement tourné en studio avec les moyens faramineux que l’on sait, créait de toutes pièces un univers abstrait à valeur universelle (La Ville opposée à La Campagne), City girl est bien ancré dans la réalité américaine (la ville est Chicago et les vastes champs de blé sont ceux du Middle West) et l’univers capitaliste qui impose ses lois au monde paysan (la chute brutale des cours du blé).
Murnau, homme de culture s’il en fut, est, parmi les très grands cinéastes, un de ceux qui pensent le plus immédiatement en cinéma et son génie de la composition dynamique éclate encore une fois ici.
Chaque plan de City girl est animé de mouvements qui interpellent le spectateur et provoquent sa participation active. Cela implique bien sûr un contrôle total de tous les éléments de l’image que seul le tournage en studio peut permettre.
Pourtant le cinéaste tenait beaucoup à tourner on location les scènes de moissons. Certains plans sont du pur documentaire. Leur impact et leur beauté tient simplement dans leur poids de réel.
Mais aucune rupture n’est perceptible, tant est grande la charge émotionnelle et la matérialité des prises de studios qui sont pourtant le fruit d’un travail acharné.
Car chez Murnau, l’héritier du romantisme allemand, l’artifice (l’art), aussi sophistiqué qu’il fut, n’est jamais une fin en soi, mais toujours un outil d’appréhension sensible du monde.
City girl, connu aussi sous ses titres d’exploitation française L’intruse ou la bru, est loin d’être, comme on l’a longtemps cru, une oeuvre mineure dans la carrière du cinéaste. Le génie de Murnau y éclate à chaque plan.
Le DVD
C’est une édition DVD d’une qualité exemplaire que Carlotta met sur marché le 1er décembre en même temps qu’une édition ultime de L’aurore. Les deux titres sont également disponibles en coffret collector blu-ray
Les suppléments
Trois remarquables documentaires viennent compléter le programme :
– City girl ou l’essence de l’Amérique : un entretien avec John Bailey, caméraman de Days of heaven - Les moissons du ciel, qui parle de l’influence des peintres régionalistes sur le plus américain des films de Murnau et compare la photo du film au travail de Nestor Almendros sur celui de Malick. Pertinent et fort bien illustré.
– Murnau et l’avènement du parlant : Janet Bergstom, enseignante à UCLA et grande spécialiste de Murnau, retrace l’histoire mouvementée du film. Son exposé, didactique au meilleur sens du mot, est une mine d’informations précieuses. Là aussi, les illustrations (extraits de films, affiches, coupures de presse) illustrent exemplairement le propos.
– Enfin, cerise sur le gâteau : Le mouvement même de la pensée une étude du film par Jean Douchet. Brillant à l’extrême et d’une acuité d’analyse saisissante.
Image
L’admirable plasticité de la photo noir et blanc d’Ernest Palmer est restituée dans sa splendeur première par une restauration exemplaire et un report numérique sans faille.
Son
Entraînante et clinquante à souhait la musique envahissante de Christopher Caliendo, qui reprend des thèmes populaires américains pour les fondre dans une sauce symphonique plutôt indigeste, bénéficie d’un dolby digital 5.1 tonitruant qui trouvera peut-être des amateurs. Pour nous c’est le point faible de cette édition par ailleurs parfaite, mais rien n’interdit de couper le son (et de passer du Copland par exemple).
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Norman06 3 mars 2011
City girl - La critique + Le test DVD
Poursuivant les recherches plastiques de L’aurore, Murnau signe son premier film typiquement américain, par son lyrisme et l’aptitude à cerner le contraste entre la grande ville oppressante et les plaines faussement rassurantes du Minnesota. Si le film fut souvent sous-évalué, en raison d’une emprise des studios sur le scénario et le final cut, il faut redécouvrir cette œuvre lumineuse. Jean Douchet, qui a présenté City Girl à la Cinémathèque de Nice en mars 2011, est l’auteur de l’analyse filmique présente dans le bonus du DVD.