Chronic - la critique du film

Critique : Auteur du remarqué Después de Lucia, Prix Un Certain Regard en 2012, le réalisateur mexicain Michel Franco réalise son premier film américain, dans le cadre du cinéma indépendant. Après la chronique d’une lycéenne victime d’un harcèlement, le cinéaste s’intéresse au cas de David (Tim Roth), un aide-soignant qui travaille auprès de patients en phase terminale. Le récit est inspiré du vécu du cinéaste, dont la grand-mère paralysée suite à une attaque cérébrale avait été prise en charge par une infirmière dévouée qui avait pénétré son intimité physique et émotionnelle, en l’accompagnant dans ses activités quotidiennes fondamentales. La première partie du film est ainsi presque documentaire, et montre David s’occuper de John (Michael Cristofer), un vieil architecte dépendant, avec des rituels qui révèlent une attention extrême : de l’oreiller placé sous le dos au livre d’art emprunté à la bibliothèque, David accomplit son travail bien au-delà de ce qui lui est demandé, au risque de susciter la jalousie des filles de John et d’agacer sa hiérarchie. Pendant ses moments de loisirs, David discute avec des inconnus et s’invente un deuil imaginaire, ou cherche sur Internet des photos d’une adolescente dont on comprend qu’elle est peut-être sa propre fille. Quel est le passé de David et que cherche-t-il vraiment ? Le film aborde avec sobriété les questions des liens familiaux, de la maladie et de la mort, un thème qui a décidément été récurrent dans la sélection officielle 2015 avec des œuvres aussi diverses que Mia Madre ou La forêt des songes.

Michel Franco opte pour une veine intimiste plus qu’émotionnelle ou lyrique, dans une démarche similaire à celle de Maurice Pialat dans La Gueule ouverte ou Michael Haneke dans Amour. La seconde partie de l’œuvre, qui voit David renouer un temps avec sa famille, est davantage explicative et met en exergue les aspects psychologiques du scénario, tout en suggérant une piste policière. L’intérêt de Chronic est de dépasser le cadre réaliste et d’éviter les pièges du « sujet de société » pour proposer une œuvre ambigüe qui va jusqu’au bout de son projet, sans concessions au jeunisme ambiant ou aux règles de la bienséance filmique. Le malaise suscité par certains plans fixes (la toilette de Martha) ou un dénouement inattendu sont la preuve que Franco ne caresse pas son public dans le sens du poil et refuse de suivre les pistes balisées du mélo médical et familial. Tim Roth est parfait et trouve peut-être le meilleur rôle de sa carrière depuis... Little Odessa (1994) de James Gray, qui l’avait révélé. On commençait à désespérer de cet acteur qui cumulait les rôles foireux depuis plusieurs années, du Prince Rainier dans Grace de Monaco au gouverneur Wallace dans Selma, en passant par Sepp Blatter dans United Passions. Chronic devrait redorer son blason. Le film a obtenu un Prix du scénario mérité, et conforte la place de Michel Franco dans liste des metteurs en scène qui comptent.