Les yeux grand fermés
Le 13 août 2015
Nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, figure incontournable du cinéma thaïlandais indépendant, Cemetery of Splendour annonce une expérience hypnotique sur le thème du rêve et du sommeil. Une thérapie cinématographique que nous avons testée avec le plus grand plaisir.
- Réalisateur : Apichatpong Weerasethakul
- Acteurs : Jenjira Pongpas, Banlop Lomnoi, Jarinpattra Rueangram
- Genre : Drame
- Nationalité : Britannique, Français, Allemand, Thaïlandais, Malaisien
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 2h02mn
- Titre original : Rak Ti Khon Kaen
- Date de sortie : 2 septembre 2015
- Festival : Festival de Cannes 2015
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Résumé : Des soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil sont transférés dans un hôpital provisoire installé dans une école abandonnée. Jenjira se porte volontaire pour s’occuper de Itt, un beau soldat auquel personne ne rend visite. Elle se lie d’amitié avec Keng, une jeune médium qui utilise ses pouvoirs pour aider les proches à communiquer avec les hommes endormis.
Un jour, Jenjira trouve le journal intime de Itt, couvert d’écrits et de croquis étranges. Peut-être existe-t-il une connexion entre l’énigmatique syndrome des soldats et le site ancien mythique qui s’étend sous l’école ? La magie, la guérison, la romance et les rêves se mêlent sur la fragile route de Jenjira vers une conscience profonde d’elle-même et du monde qui l’entoure.
Critique : Sur un écran noir, le fourmillement des bruits de la nature nous accueille dans le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul. Une entrée en la matière plutôt apaisante bientôt troublée par les bruits mécaniques d’une pelleteuse, dédiée jusqu’à la fin du film à creuser des trous aux alentours de l’hôpital, poursuivant en vain son entreprise d’excavation. Ce n’est en effet pas communément que les films du réalisateur thaïlandais dévoilent leurs profondeurs spirituelles au spectateur. Il faut pour cela emprunter une voie contemplative et se laisser doucement emporter par l’atmosphère du long-métrage. C’était le cas pour Oncle Boonmee, Palme d’Or du festival de Cannes 2010, c’est encore le cas pour Cemetery of Splendour, qui prend pour cadre un hôpital provisoire abritant des soldats plongés dans un sommeil sans fin. Un sujet apparemment en marge, faisant appel à une mise en scène où le rêve et l’imaginaire sont à l’honneur, mais dans lequel s’esquisse en creux un portrait de la situation sociale et politique en Thaïlande.
L’hôpital, ancienne école partiellement réhabilitée pour accueillir les soldats endormis, est le point de départ du film autant qu’il figure un retour au commencement. Nous retrouvons le monde de l’enfance, où le merveilleux et l’irréel prédominent, mais aussi l’école comme lieu d’apprentissage pour réapprendre à rêver et en fin de compte, réapprendre à vivre. En témoignent les brefs réveils d’Itt, interprété par Banlop Lomnoi, pendant lesquels l’ancien soldat fait l’expérience d’une perception accrue du monde. Les odeurs de la nature et les goûts des aliments lui parviennent avec une intensité renouvelée, comme si le sommeil avait précisément permis une nouvelle jeunesse des sens.
A travers Cemetery of Splendour, le réalisateur nous incite à prendre le temps de voir et d’entendre dans une société qui dévalue et déprécie le sommeil au profit d’une activité des corps et d’une sollicitation de l’esprit permanentes. Les plans sont longs, fixes et larges, avec une profondeur de champ importante permettant au regard de s’égarer dans le cadre. Apichatpong Weerasethakul propose une alternative presque méditative aux images frénétiques des films d’action à succès – auxquels il fait un clin d’œil dans l’une de ses scènes. Les images, plutôt banales dans les premières scènes, révèlent toute leur beauté au fur et à mesure que le long-métrage progresse, démontrant la maîtrise du réalisateur et la finesse du travail accompli en collaboration avec Diego García, directeur de la photographie. Le soin accordé aux couleurs est lui aussi manifeste, comme en témoigne une séquence urbaine nocturne lors de laquelle les néons et autres éclairages artificiels tiennent les hommes éveillés mais finalement imperméables à leur environnement. Lors de ces plans, les couleurs de l’image changent doucement pour nous amener dans un univers fantasmagorique, presque comme si le réalisateur voulait appliquer au spectateur la même thérapie de lumières colorées que celle employée auprès des soldats, pour leur permettre de mieux se réveiller au monde.
Cemetery of Splendour nous fait accéder à une autre manière de faire l’expérience du temps, plus lent mais non pour autant dénué de rythme ; l’œuvre nous fait toutefois également expérimenter une autre manière de vivre l’espace en superposant les lieux dans lesquels se déplacent ses personnages, dans une double exposition cinématographique de ces différents environnements. L’hôpital se superpose à l’école ; les ruines et la végétation aux alentours se superposent aux magnificences d’un ancien palais royal. L’imagination reprend ses droits et la magie renaît d’elle-même.
Contribuant aussi à l’atmosphère du film, Jenjira Pongpas incarne avec douceur le rôle de Jenjira, bénévole s’occupant de Itt, qui éveillera en elle une dimension protectrice. L’actrice parviendra à donner corps à un personnage attachant, empreint d’une certaine candeur qui ne se départit pas d’un léger humour et d’une répartie malicieuse.
Apichatpong Weerasethakul signe une œuvre dont la beauté ne se livre pas au premier regard mais à travers une lente expérience des sens. Une oasis cinématographique rafraîchissante pour qui voudra échapper pour deux heures à la fièvre de la rentrée.
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