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Le 7 septembre 2012
Incisif et percutant, Captive s’impose comme une réflexion majeure sur l’affaiblissement de nos certitudes face à la levée des extrêmes
- Réalisateur : Brillante Mendoza
- Acteurs : Isabelle Huppert, Kathy Mulville, Marc Zanetta
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Philippin
- Durée : 2h02mn
- Date de sortie : 19 septembre 2012
Incisif et percutant, Captive s’impose comme une réflexion majeure sur l’affaiblissement de nos certitudes face à la levée des extrêmes
L’argument : Une vingtaine de ressortissants étrangers sont pris en otage à Palawan, aux Philippines, par le groupe Abu Sayyaf, des musulmans terroristes qui se battent pour l’indépendance de l’île de Mindanao. Alors qu’elle apporte des provisions au siège d’une ONG en compagnie d’une autre bénévole philippine, Thérèse Bourgoine, citoyenne française qui travaille dans l’humanitaire, est kidnappée à son tour...
Notre avis : Captive s’inspire de faits réels : en 2001 survinrent aux Philippines plusieurs enlèvements et prises d’otages, dont celle de l’hôtel Dos Palmas à Palawan, perpétrée par le groupe Abu Sayyaf. La séquence inaugurale nous plonge d’emblée dans la violence de l’attaque. La caméra de Mendoza se faufile dans les chambres et les embarcations avec une énergie sidérante, très proche du reportage. Cette nervosité ambiante, qui confère au film son allure de "survival", est le résultat d’une préparation singulière, que l’on croirait inspirée d’une émission de Real TV. Les deux groupes d’acteurs - captifs et terroristes - ont été séparés avant le tournage. Les séquences ont été filmées dans l’ordre du récit. Même s’il est difficile d’évaluer l’impact de tels procédés sur l’opus final, il n’est pas anodin que Brillante Mendoza ait recouru, pour préparer son film, à des méthodes télévisuelles. A plusieurs égards, Captive emprunte les codes du petit écran, comme dans cette époustouflante séquence où Huppert/Bourgoine, qui cherche à contenir son émotion pour formuler correctement son appel à l’aide, est interrogée par une reporter au milieu de la jungle. Les écrans sont par ailleurs visibles à plusieurs endroits du film : ce sont eux qui relaient l’information. Comme si le spectateur assistait à une prise d’otages en temps réel, il en devient lui-même captif, désireux de connaître l’issue du drame.
Aussi le réalisme de Captive n’est-il pas au service d’une logique référentielle fade et mercantile. Film de survie haletant, qui évoque les grands modèles du genre - on pense plusieurs fois à Délivrance de Boorman - il plonge le spectateur dans l’envers du décor, l’obligeant à réfléchir sur la valeur des images "officielles". Car ce ne sont guère les motivations de l’acte terroriste qui intéressent le cinéaste. Mendoza filme des rapports de force, des tensions indicibles, comme pour en restituer la complexité. Dans ce film percutant mais humain, tout le monde est captif : non seulement les personnes prises en otage, mais également le groupe Abu Sayyaf, obligé de s’enfoncer dans la jungle pour échapper aux forces armées. Le réalisateur délaisse tout manichéisme pour interroger la manière dont les rapports sociaux se muent lorsque la survie devient une nécessité. Son regard n’est jamais complaisant, mais soucieux de mettre en lumière la difficulté à tracer des frontières entre le bien et le mal, l’homme et l’animal, la fiction et la réalité, comme lorsque Thérèse Bourgoine court éperdument après le Sarimanok - un oiseau fabuleux ; ou lorsqu’elle s’éprend du jeune Hamed, soldat qu’elle cherche à défaire de ses croyances. Immiscé dans le quotidien du groupe, le public, comme captif de la toile du récit - l’araignée est un motif récurrent - est amené à repenser son propre lien avec celui que l’on a désigné comme "l’ennemi".
En cela, Captive peut se voir comme la saisissante métaphore d’un monde fragile, qu’un petit groupe armé suffit à faire basculer. Ainsi lorsque l’un des membres du GAS apprend aux autres l’effondrement des tours du World Trade Center. La réaction de Thérèse Bourgoine montre avec violence son incompréhension. Chacun des otages incarne à sa manière un visage de l’Occident. Symbole des valeurs chrétiennes d’une vieille Europe, philanthrope sincère mais parfois naïve, Bourgoine semble nostalgique d’une France interventionniste. C’est pourquoi elle vit avec d’autant plus de peine son abandon - elle est la dernière otage à suivre le groupe, alors que les autres ont été rapatriés suite à la négociation d’une rançon. Les Etats, acteurs indirects du drame, font preuve d’une maladresse parfois consternante, et que Mendoza dénonce à demi-mots, comme lorsque les forces armées tirent sur les prisonniers. Mais Captive, qui n’est pas un film sur la politique, se garde bien d’apporter des réponses toutes faites au problème posé par le terrorisme. Il suggère plutôt, en se positionnant sur la zone sismique d’une prise d’otages, que les frontières délimitant le Vieux Monde ont bougé. Il invite à suivre Thérèse Bourgoine dans sa prise de conscience d’un effondrement et dans sa tentative de reconstruire un monde libre, défait des rapports de force barbares qu’engendrent la superstition craintive et la haine de l’autre.
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Frédéric de Vençay 16 septembre 2012
Captive - Isabelle Huppert dans les mains du terrorisme, critique...
Difficile de dégager le moindre point de vue, qu’il soit esthétique ou politique, dans cette interminable prise d’otage dans une nature tour à tour réaliste et animiste (la curieuse séquence foirée du perroquet géant). Mendoza, que l’on a pu connaître plus rageur et moins indolent, parvient à nous désintéresser presque totalement du sort de ses captifs, malgré la force des situations qu’il met en images (assaut d’un hôpital, mariages forcés, abandon des otages mourants...), mais pas "en scène" ou "en situation". Un étonnant ratage.